Procès Pistorius: il voudrait montrer qu'il est "quelqu'un d'humain"

Oscar Pistorius lors de l'audience de ce mardi 25 mars devant le tribunal de Pretoria, en Afrique du Sud. - -
Par la renommée du mis en examen, la beauté glamour de la victime -l'ex-mannequin Reeva Steenkamp- et les circonstances controversées de cet homicide, le procès d'Oscar Pistorius passionne les foules et les médias. La retransmission en direct de certaines audiences, qui permet de suivre en temps réel les déclarations des témoins ou des experts, contribue à en faire un procès hors normes.
Au centre de l'attention, Oscar Pistorius, 27 ans, champion multi-médaillée de l'olympisme paralympique devenu star déchue. Depuis lundi, le procès connaît un tournant avec sa venue à la barre pour donner sa version des faits. Un témoignage tantôt éprouvant -Pistorius s'est effondré en larmes de nombreuses fois, présentant même lundi "ses excuses" à la famille Steenkamp- tantôt impassible, alimentant ainsi les spéculations les plus folles sur les raisons de son geste et sur sa personnalité.
D'un strict point de vue légal, Oscar Pistorius n'est pas tenu de témoigner. Ses déclarations en forme de grand huit aident-elles Oscar Pistorius? Sa stratégie de défense est-elle la bonne? Elements de réponse avec maître Alexandre Malan avocat au barreau de Paris et spécialiste de l'Afrique du Sud.
> Qui juge Pistorius et selon quelles modalités?
Culture protestante, langue anglaise officielle (entre autres), on pourrait croire le système judiciaire sud-africain proche de celui des Etats-Unis. Or, il n'en est rien. Maître Alexandre Malan explique que "paradoxalement, il est plus proche du système judiciaire français, de type inquisitoire". Dans ce système très différent donc du système accusatoire, c'est le "prosecutor" ou procureur qui "mène l'enquête et les débats, c'est lui qui interroge pour le compte de l'Etat, à la fois le mis en examen et les témoins". Pour le procès Pistorius, il s'agit de l'implacable Gerrie Nel.
Autre particularité, "à la différence des Etats-Unis et de la France, pas d'avocat des parties civiles. Elles peuvent prendre un conseil, mais celui-ci n'interviendra aucunement dans les débats judiciaires d'un procès pénal". Enfin et c'est capital, "il n'existe pas en Afrique du Sud de jurés populaires". Le prononcé de la peine revient à "un juge principal qui siège avec deux assesseurs". Intervenant peu dans les débats il doit avoir "un rôle neutre" et "ne pas descendre dans l'arène", explique encore le juriste.
> Que cherchait à faire l'avocat de Pistorius en s'en prenant à un témoin dès le premier jour?
Le 4 mars dernier, l'interrogatoire d'un témoin, Michelle Burger, une voisine de Pistorius qui déclare avoir entendu des cris à glacer le sang et quatre coups de feu, cette fameuse nuit du 14 février 2013, a été particulièrement musclé. L'épreuve a duré plus de quatre heures. L'avocat Alexandre Malan rappelle que le but est de "mettre les témoins en face de leurs contradictions".
De deux choses l'une: "soit le témoin ment, soit son témoignage n'est pas fiable". En revanche, le juge pose les limites. Ce "cross examination" ou "examen contradictoire", peut être interrompu en cas d'une trop grande insistance qui n'apporterait rien au débat. La juge Thokozile Masipa ne s'est d'ailleurs pas privée de rappeler à l'ordre Barry Roux, avocat de Pistorius, à plusieurs reprises.
> Pourquoi Oscar Pistorius a choisi de témoigner alors que rien ne l'y obligeait?
C'est effectivement une question qui laisse perplexe. En général explique le spécialiste du droit sud-africain, "quand un prévenu fait part de ses regrets (NDLR: les excuses formulées par Pistorius à la famille de Reeva), il le fait soit une fois le verdict tombé quand il n'a plus rien à perdre, soit quand il essaye d'obtenir quelque chose de la part du parquet". Cette procédure qui consiste à plaider coupable s'appelle le "plea bargain" ou "plaidoyer de marchandage". Cette "négociation avec le procureur permet d'obtenir une réduction de peine". Mais selon, l'avocat, plaider coupable ne serait pas du tout cohérent avec la stratégie actuelle de Pistorius qui défend la thèse selon laquelle il a tiré en état de légitime défense, croyant que Reeva était encore dans le lit, allongée à ses côtés, au moment où il en est sorti.
Cette stratégie pourrait "laisser penser que Barry Roux ne maîtrise plus la stratégie de défense de son client, que ce dernier a du mal à la tenir". Cela expliquerait aussi pourquoi le ténor du barreau a épaulé de bout en bout Oscar Pistorius lors de son témoignage. Mais nuance-t-il, "peut-être est-ce télécommandé, à cause des télévisions (NDLR: le procès est filmé, ce qui n'est apparemment pas une pratique habituelle)".
> Pourquoi Pistorius insiste-t-il tellement sur sa relation avec Reeva?
L'image idyllique que veut donner Pistorius de sa vie, de sa relation avec Reeva, a pris une place très importante dans ce procès. Mais si montrer qu'on est un "bon-chrétien" à un procès pénal ne ferait que moyennement sens en France, il faut rappeler que "l'Afrique du Sud est une société très christianisée, protestante, chez les noirs comme chez les blancs".
Ainsi poursuit-il: "Montrer qu'on est resté sur les rails de l'éducation qu'on a reçue est quelque chose qui du point de vue de l'image, est très important". Pistorius voudrait donc montrer qu'il est "quelqu'un d'humain", que dans une démarche de Rédemption, "il tente de comprendre son geste et de le faire comprendre à la société".
> L'obsession de Pistorius pour les armes choque-t-elle les Sud-Africains?
"Les armes à feu sont considérées comme un moyen de défense habituel dans ce pays, bien plus encore qu’aux Etats-Unis. L’introduction d’un individu de nuit dans une maison est considérée comme un motif de légitime défense. Et la sécurité est un enjeu important pour la majorité de la population, surtout les blancs", commente Alexandre Malan. Ainsi, les Sud-Africains ne sont sans doute pas du tout surpris que "Pistorius ait sur lui en permanence un pistolet et qu’il pratique le tir".
> Pistorius, s'il est condamné pourra-t-il faire appel?
Oui, il pourra "faire appel devant la cour d'appel de Bloemfontein" qui dépend du district de Pretoria. Un procès au civil pourrait aussi suivre le procès pénal. A moins qu'une transaction, "dont les juges n'ont pas connaître" ne soit intervenue entre temps.
La procédure actuelle s'achèvera quant à elle, une fois que les juges auront entendu toutes les parties. Ensuite, le délibéré n'est soumis à aucune contrainte de temps particulière. La peine maximum encourue par Oscar Pistorius est la prison à vie.