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Une sixième "limite planétaire" franchie: l'activité humaine menace désormais le cycle de l'eau douce

Le lac de Serre-Ponçon le 20 avril 2022.

Le lac de Serre-Ponçon le 20 avril 2022. - BFM DICI

Selon une étude scientifique mise en ligne mardi sur le site de la revue Nature, une sixième limite planétaire - ces mesures naturelles garantissant la perpétuation de la vie à des conditions d'existence acceptables - vient d'être transgressée par l'être humain. Notre activité met désormais en danger le cycle de l'eau douce.

Où cela s'arrêtera-t-il ? Une sixième limite planétaire vient d'être transgressée et là encore, c'est une activité humaine excessive qui en est responsable. C'est en tout cas la conclusion établie par une étude publiée en ligne par la revue scientifique Nature mardi dernier.

Dans leurs travaux, ces chercheurs évoluant dans diverses institutions, depuis l'Université de Stockholm à l'Institut de recherches sur l'impact climatique de Potsdam, en passant par l'Université du Colorado, affirment ainsi que le cycle de l'eau douce est désormais en danger.

Le sens des limites

"Limite planétaire", une expression qui peut paraître obscure ou abstraite. Il convient donc d'abord d'en retracer l'histoire et d'en éclairer la définition. Ce critère d'évaluation scientifique et écologique est tout d'abord le fait d'un collège international d'experts ayant planché sur la notion entre 2009 et 2015, afin d'arrêter une grille de lecture nous permettant d'évaluer l'état de la Terre. Comme l'a relevé ici le site d'information écologiste bonpote, ces 28 spécialistes ont dégagé neuf "limites planétaires". Chacune d'entre elles désignant pour une ressource ou un aspect de la nature donné (comme l'eau, par exemple), la jauge maximale à respecter pour que l'activité humaine reste supportable et permette la perpétuation de la vie à des conditions convenables.

Dans un rapport sur l'environnement paru en octobre 2019, le ministère de la Transition écologique précise: "Il s'agit de limites physiques, que l'humanité doit s’astreindre à respecter, si elle ne veut pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer".

C'est donc l'un de ses garde-fous qui vient de tomber sous les coups de l'être humain. Or, ces limites n'ont rien d'étanche et en violer une amène immanquablement à approcher la suivante de trop près. Ainsi, c'est la seconde transgression du genre pour la seule année 2022 depuis qu'en janvier dernier, les savants du Stockholm Resilience Center - une instance également associée à cette nouvelle étude publiée par Nature - pointaient le dépassement du seuil critique de "l'introduction d'entités nouvelles dans la biosphère", soit la pollution chimique de notre environnement.

Avant ce cinquième débordement, nous avions déjà crevé le plafond du changement climatique, de la diversité génétique (provoquant l'érosion de la biodiversité), compromis l'utilisation des sols, et perturbé le cycle du phosphore et de l'azote.

"L'eau douce est la circulation sanguine de la biosphère"

En quoi ce sixième dépassement et la remise en cause du cycle de l'eau douce est-elle particulièrement néfaste? "L'eau douce est la circulation sanguine de la biosphère", trousse douloureusement l'étude de Nature. Elle est donc essentielle pour le maintien de conditions environnementales et climatiques viables.

Les chercheurs ont en fait divisé ce cycle de l'eau douce dans leur travail. Ils ont d'une part distingué "l'eau bleue", que notre consommation ne met pas encore en danger et qui correspond à l'eau issue des précipitations et finalement stockée dans des lacs, des réservoirs ou amerrissant dans l'océan. De l'autre, ils ont considéré "l'eau verte", elle aussi issue des précipitations atmosphériques et bue par les végétaux. C'est celle-ci qui est touchée.

"L'interférence humaine avec l'eau verte a désormais pris une telle ampleur que le risque de changement non-linéaire et à grande échelle s'en trouve renforcé, et met en danger la capacité du système terrestre à demeurer dans des conditions relevant de l'Holocène (notre ère géologique, NDLR)", développent les auteurs de l'étude.

La détresse des spécialistes

Cette "eau verte" est entre autres déterminante pour l'évaporation, et par voie de conséquence la régulation de l'atmosphère, et pour l'humidité des sols, qui prévient l'assèchement des forêts. Arne Tobian, corédacteur de ces travaux, relayé ici par franceinfo, illustre d'ailleurs: "Ces changements rapprochent potentiellement l'Amazonie d'un point de basculement où de grandes parties pourraient passer de la forêt tropicale à des états de type savane".

Mais l'Amazonie n'a ici valeur que d'exemple car le phénomène est mondial. Sa gravité est telle qu'elle soulève les hauts-le-coeur d'observateurs particulièrement intéressée à la question, comme l'hydrologue française, Emma Haziza, jeudi sur Twitter:

"Je ne sais plus comment le dire, le crier parfois puis me taire devant le flot d’actualité continu… Mais est-ce que vous avez compris ce que veut dire le manque d’eau? Plus d’énergie, plus rien à manger, on n'est plus rien en fait, vous êtes sûrs de vouloir continuer comme ça?"

Plus que trois limites devant nous

Pour les auteurs du document, la situation n'est pas encore irréversible. Mais l'une de leurs dernières observations résonne davantage comme un sombre avertissement que comme un message d'espoir:

"Les tendances mondiales actuelles et les trajectoires de l'utilisation croissante de l'eau, de l'érosion des sols, de la pollution atmosphérique et du changement climatique doivent être stoppées au plus vite et inversées pour augmenter nos chances d'assurer notre sûreté".

Sur les neuf limites planétaires régissant notre monde, seules trois restent donc dans le vert. Il s'agit de l'appauvrissement de l'azote stratosphérique, de l'acidification de l'océan, de l'augmentation des aérosols dans l'atmosphère. Mais nous ne sommes pas à l'abri d'une mauvaise surprise: cette dernière n'a pas encore été examinée.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV