Studio Ghibli, starter packs... L'utilisation massive de l'IA générative est-elle un problème pour la planète?

Difficile de passer à côté. Les réseaux sociaux sont inondés de "starter packs" (des "kits de démarrage" en français), des images générées par intelligence artificielle représentant une personne sous forme de figurine, accompagnée de quelques accessoires qui doivent illustrer son caractère, son métier ou encore ses passions.
Ces starters pack sont la nouvelle tendance qui a pris la place des images de ChatGPT transformant des photos en dessins façon Studio Ghibli qui avaient envahi il y a peu les réseaux sociaux.
Et tout le monde se prête au jeu, des particuliers aux entreprises jusqu'aux personnalités publiques. Par exemple, Thomas Pesquet a publié ce vendredi 11 avril son starter pack.
"Mais derrière la magie, il y a une réalité qu'on oublie souvent de regarder: le coût environnemental de ces technologies", a toutefois ajouté l'astronaute.
Car cette IA dite "générative" est très énergivore. Chaque demande est envoyée par Internet pour être traitée dans des centres de données aux quatre coins du globe. Ceux-ci consomment de l'électricité et nécessitent d'importants systèmes de refroidissement, sans compter l'énergie requise pour construire le centre et les composants électroniques eux-mêmes.
Des systèmes toujours plus performants et populaires
Selon Théo Alves Da Costa, président de l'ONG Data for Good, "à peu près 700 millions de photos 'starter packs' et 'Studio Ghibli' ont été générés". La tendance est si populaire que le patron d'OpenAI Sam Altman a affirmé que les serveurs de l'entreprise propriétaire de ChatGPT "fondaient".
En fait, l'utilisation de l'IA demande plus de ressources que le simple fait de naviguer sur Internet. Selon l'Agence internationale de l’énergie, une requête sur ChatGPT consomme autant d'énergie que dix recherches sur Google. Une étude du Washington Post et de l'université de la Californie a estimé que de demander de l'aide à ChatGPT pour rédiger un e-mail de 100 mots équivaut à gaspiller 519 millilitres d'eau, soit un peu plus qu'une petite bouteille.
Et plus les systèmes sont performants et complexes, plus ils sont polluants. Ainsi, les modèles d'IA générative qui permettent de créer des images type Ghibli ou des starter packs entraînent une croissance exponentielle des besoins en puissance de calcul et donc en consommation d'énergie. En parallèle, le nombre d'utilisateurs ne cesse d'augmenter.
Vers une explosion de la consommation d'électricité
Une étude de chercheurs de l’université américaine de Pennsylvanie a calculé que générer une image avec un modèle d'IA requiert autant d'énergie que de charger un smartphone à la moitié de sa batterie. En outre, il y a de grandes variations en fonction des différents systèmes de génération d'images et des détails demandés. Selon une étude complémentaire, si on extrapole à une vidéo de seulement 10 secondes générée par IA, cela revient à charger ce même portable pendant un an.
L'un des principaux moteurs de la pollution de l'IA est la consommation massive des centres de données. En 2023, l'Agence internationale de l’énergie indiquait que ces centres représentaient entre 1 à 1,5% de la consommation électrique mondiale.
"Bien que ce pourcentage puisse sembler faible, il devient significatif compte tenu de l’énorme volume de consommation d'énergie à l’échelle mondiale. Avec l'augmentation de notre dépendance aux services numériques et la multiplication des appareils connectés, notre consommation énergétique continue à croître chaque jour", écrit à cet égard l'Institut supérieur de l'environnement.
Alors que le nombre d'utilisations augmente et que les modèles d'IA générative consomment plus d'énergie que les modèles traditionnels, l'Agence internationale de l'Énergie anticipe une multiplication par dix de la consommation d'électricité du secteur entre 2023 et 2026.
Cette consommation pourrait équivaloir à celle d'un pays comme l'Allemagne ou la Suède. En Irlande d'ailleurs, la consommation liée aux centres de données a déjà dépassé la quantité d’électricité utilisée par les ménages.
Émissions de gaz à effet de serre
Autre problème, une grande partie de cette électricité est produite à partir d'énergies fossiles, dont l'extraction et l'utilisation humaines sont responsables des émissions de gaz à effet de serre liées au dérèglement climatique. Toujours d'après l’université Carnegie Mellon de Pennsylvanie, générer 1.000 images avec l'IA équivaut à parcourir 6,6 kilomètres en voiture à essence.
En plus des demandes formulées par les utilisateurs, l'entraînement des systèmes d'IA est également très énergivore. Selon le MIT, entraîner la version 3 de ChatGPT a généré l’équivalent de 626.000 kg d'équivalent de CO2, soit 72 tours de la Terre en voiture ou la fabrication de 3.244 ordinateurs portables, rapporte l'Institut supérieur de l'environnement.
La croissance exponentielle de l'IA générative a déjà des conséquences visibles. Microsoft affiche une augmentation de 29% de ses émissions par rapport à 2020 et Google de 48% par rapport à 2019, rapporte Thomas Le Goff, maître de conférences en droit et régulation du numérique, auprès de The Conversation.
Des litres d'eau pour éviter la surchauffe
Face à cette popularité toujours plus forte, les centres de données risquent la surchauffe. De la même manière que pour, par exemple, une centrale nucléaire, il faut les refroidir en permanence pour éviter qu'ils n'explosent ou ne fondent. Des litres d'eau froide sont alors utilisés pour y parvenir.
À titre d'illustration, comme le note l'Institut supérieur de l'environnement, les centres de données de Google auraient consommé environ 16 milliards de litres d'eau sur l'année 2021.
Selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese), développer et entraîner la version 3 de ChatGPT a demandé 700.000 litres d’eau. À ce rythme, l'OCDE estime que l'IA pourrait consommer jusqu’à 6,6 milliards de mètres cube d'eau en 2027, soit dans seulement deux ans.
Manque de transparence
Il reste difficile d'estimer la consommation exacte de la génération d'une image type Ghibli ou starter pack, tant sur l'électricité, l'eau ou le CO2, car les données sont opaques et peuvent beaucoup varier d'un système d'IA à un autre. Il faudrait que les sociétés qui développent ces systèmes communiquent le détail de leur consommation énergétique.
Il est néanmoins établi que l’impact de la génération d'images reste plus important que pour une génération de texte, et encore plus que pour une recherche simple sur un moteur de recherche.
"Actuellement, les technologies de l'IA échappent encore à des réglementations strictes concernant leur impact énergétique. Cela s'explique en partie par la nouveauté de ces technologies, mais également par la difficulté à mesurer précisément l'empreinte énergétique de chaque modèle d'IA", explique l'Institut supérieur de l'environnement.
En outre, d'autres facteurs pourraient rentrer en compte dans ce calcul comme la fin de vie des composants électroniques de tous ces outils, notamment des centres de données. Une étude parue dans la revue scientifique Nature Computational Science a estimé que l'IA générative a généré 2.600 tonnes de déchets électroniques en 2023.
Les chercheurs projettent qu'avec le boom de l'IA et sans aucune mesure prise pour limiter cette pollution, ce chiffre pourrait atteindre 2,5 millions de tonnes en 2030, soit l'équivalent de 13,3 milliards de smartphones jetés.
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