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Climat

Chaleur, sécheresse, pluies intenses... Les éboulements vont-ils devenir plus fréquents avec le changement climatique?

Une route fermée, bloquée par un glissement de terrain, à Menton, le 18 janvier 2014 (photo d'illustration)

Une route fermée, bloquée par un glissement de terrain, à Menton, le 18 janvier 2014 (photo d'illustration) - JEAN CHRISTOPHE MAGNENET / AFP

En altitude, un lien est avéré entre l'augmentation des chutes de blocs et la hausse globale des températures, qui fait fondre le permafrost. Plus bas, comme là où des pierres sont tombées ce samedi en Savoie, ce lien est plus difficile à établir. Toutefois, la multiplication des phénomènes extrêmes fragilise les roches et la montagne.

Trois blocs de roche, d'un volume total de 50m3, se sont détachés ce samedi 1er février sur la RN90 entre Albertville et Moûtiers, en Savoie, faisant un blessé et créant des difficultés de circulation importantes sur cette route, axe principal d'accès à plusieurs grandes stations de sports d'hiver.

En France, les massifs montagneux représentent 30% du territoire et environ 10 millions de personnes y vivent. Comme l'a constaté Météo-France, les montagnes se réchauffent deux fois plus vite que les autres écosystèmes. Dans les Alpes et les Pyrénées, la température a augmenté de 2°C en moyenne au cours du 20e siècle, contre +1,4°C dans le reste de la France.

Alors que le changement climatique rend la montagne plus imprévisible, faut-il craindre que ce type d'événements devienne de plus en plus fréquent?

Phénomène de gel-dégel

À l'automne, de l'eau pénètre dans les failles des roches. "En hiver, lorsque cette eau gèle, elle augmente de 9% son volume, ce qui crée des pressions dans les fissures et quand la glace fond ça déstabilise la roche", explique à BFMTV.com Ludovic Ravanel, géomorphologue et directeur de recherche au CNRS.

C'est ce qu'on appelle le phénomène de gel-dégel. Et lorsque les roches se brisent en raison de ce changement de forme de l'eau, on parle là de cryoclastie.

"C'est un événement typique de l'hiver et assez classique dans ces altitudes assez basses (comme sur la RN90, NDLR) ", poursuit le spécialiste.

La fatigue de la roche et la pression de l'eau sont donc des phénomènes classiques de l’érosion, qui conduisent parfois à des éboulements de plus ou moins grande ampleur. Ainsi, dans le cas présent, l'éboulement survenu ce samedi "ne peut pas être directement attribué au changement climatique", souligne Ludovic Ravanel.

Un contraste d'événements extrêmes

Toutefois, à l'aune de la crise climatique, "on s'attend à ce que des événements de ce type soient plus fréquents", affirme Stéphane Guillot, chercheur au CNRS délégué scientifique à la transition environnementale et aux risques.

En cause: les prévisions des scientifiques qui indiquent que les étés vont devenir plus chauds et plus secs, tandis que des pluies plus intenses surviendront en période hivernale.

"Ce qui est prévu, c'est un contraste d'événements extrêmes", résume Stéphane Guillot.

Et cette situation peut, cette fois, aggraver les éboulements. D'abord, la sécheresse limite la présence de végétation sur les falaises rocheuses, alors qu'elle permet pourtant de retenir les sols. Ensuite, le manque d'eau en raison de l'absence de précipitations et/ou de la chaleur dessèche les fissures dans les roches qui sont remplies de sable et de terre: c'est le phénomène de "dessiccation".

Conséquence: lorsque survient une pluie brutale, "l'eau va ruisseler sur les sols secs, éroder le terrain et emporter avec elle des cailloux ou de la boue", explique Stéphane Guillot. En outre, l'eau va également s'infiltrer dans les fissures sèches et augmenter la pression hydraulique, ce qui fragilise la falaise et facilite les détachements de blocs.

"On peut dire que les glissements de terrain augmentent avec le dérèglement climatique, il y a une hausse de la probabilité sans qu'il ne soit à 100% responsable mais il peut y contribuer: il y a un phénomène d'accélération", conclut Stéphane Guillot.

En altitude, la fonte du permafrost

Si l'impact du changement climatique sur les éboulements à basse et moyenne altitude est difficile à mesurer, la situation est plus claire en ce qui concerne la haute montagne. Au-dessus de 2.500 mètres, il n'y a pas de doute: il fragilise les roches et leurs chutes sont "plus fréquentes et plus volumineuses", souligne Ludovic Ravanel.

En cause: la fonte du permafrost en raison de la hausse globale des températures liée au changement climatique d'origine humaine. Par définition, le permafrost est un sol perpétuellement gelé. On le retrouve au-delà de 2.300/2.500 mètres en versant nord et au-delà de 3.000/3.200 mètres en versant sud. Il agit comme une colle entre les roches mais, s'il se met à fondre... elles ne tiennent plus.

À très haute altitude, les températures sont habituellement négatives, ce qui est de moins en moins le cas. On voit par exemple l'isotherme 0°C, c'est-à-dire l'altitude à laquelle on observe la température de 0°C, être mesuré de plus en plus haut.

"La hausse des températures et la fonte du permafrost sont vraiment un facteur aggravant, provoquant davantage d'éboulements, notamment dans le massif du mont Blanc", affirme Stéphane Guillot. Depuis les années 1970, les chutes de pierres ont été multipliées par dix, selon une étude menée sur une partie de ce massif des Alpes.

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Aléa naturel et vulnérabilité

En montagne de haute altitude, les plus touchés sont donc les alpinistes, qui sont toutefois de plus en plus sensibilisés à ces phénomènes. Dans un cas comme l'éboulement de samedi en Savoie, les chutes de roches peuvent être très dangereuses pour les automobilistes ou les habitants.

À seulement quelques jours du début des vacances scolaires pour la zone B, la circulation sera perturbée dans ce secteur très prisé des touristes pour rejoindre les stations de sports d'hiver.

"Nous sommes un pays avec des infrastructures importantes et une concentration de population partout", observe Stéphane Guillot. Ainsi, cet accident rappelle la vulnérabilité des voies de communication en montagne et leur sécurisation représente un coût très important.

"Le risque vient de l'addition d'un aléa naturel et de la vulnérabilité du lieu", rappelle le chercheur, qui cite l'exemple de l'éboulement survenu à La Bérarde (Isère) l'an dernière. "Avant, c'était des villages d'alpage et aujourd'hui, c'est un endroit beaucoup plus habité, ce qui augmente la vulnérabilité", ajoute-t-il.

En Suisse, l'intégralité des habitants du village de Brienz ont été appelés à évacuer plusieurs fois ces dernières années en raison d'un risque d'éboulement rocheux qui pourrait atteindre les habitations. À terme, le village pourrait être entièrement déplacé.

Salomé Robles