Pourquoi le projet ReLIRE fait hurler les auteurs

ReLIRE a su mobiliser contre lui un grand nombre de détracteurs. - -
Republier les œuvres indisponibles du XXe siècle pour leur redonner vie, qui pourrait s’opposer à ce noble projet? Le dispositif ReLIRE (le registre des livres indisponibles en réédition numérique), mis en musique par la BNF, a donné son coup d'envoi avec la publication d'une liste de 60.000 ouvrages. Charge aux auteurs et éditeurs concernés de se manifester s’ils ne veulent pas que leur titre soit exploité dans six mois par une société de gestion collective.
Ce projet de numérisation, considéré par ses artisans comme "un dispositif novateur", voire "une première en Europe", a pourtant su mobiliser contre lui un grand nombre de détracteurs. Ils lui reprochent d’être, sinon précipité, carrément spoliateur. ReLIRE a même été baptisé "ReLIRE Bay", en référence au célèbre moteur de recherche qui permet de télécharger des copies illégales de films.
Pourquoi les auteurs, le collectif du Droit du serf en première ligne, mais aussi certains éditeurs et même des lecteurs critiquent ce programme avec autant de force? Revue d’arguments.
> Irrespectueux du droit d'auteur?
Le premier problème, décrit en détail sur Actualitté et par un blogueur spécialisé de la propriété intellectuelle, Calimaq, est que le dispositif entre en contradiction avec le droit d’auteur tel qu’il est défini dans la loi française dans la mesure où c'est à l'auteur de se manifester pour jouir de ses droits.
Antoine Gitton, avocat spécialiste de la propriété intellectuelle dans le monde de l’édition, confirme: "C’est une évidence, le droit d’auteur en France prévoit le consentement de l’auteur dans un acte avant toute exploitation. On peut même penser que la loi qui encadre ce registre ReLIRE est inconstitutionnelle. On va être obligés de modifier la loi pour prévoir une telle dérogation."
En principe, un auteur a droit à la "présomption de titularité", une disposition confirmée par la Convention de Berne de 1886 pour la protection des œuvres littéraires, signée par la France comme par la quasi-totalité des pays du monde. Mais de cela, nulle trace dans la partie "Cadre légal" de la base ReLIRE.
Pour François Bon, à la fois auteur et éditeur, on assiste carrément à un "vol programmé". L’ironie, c’est que cette manière de faire était farouchement combattue par la BNF du temps où elle s’opposait à Google, qui utilise la même procédure d’opt-out pour la numérisation.
AUTEURS, MÉFIEZ-VOUS DE L'ÉTAT, FAITES OPPOSITION AU VOL #BNF relire.bnf.fr/vos-droits-aut...
— françois bon (@fbon) March 21, 2013
>> L'auteur Benoît Peeters réagit, au salon du livre, contre le système d'opt-out:
> Un registre truffé d'erreurs?
L’autre problème préoccupant est que cette base est remplie d’erreurs. De très nombreux livres, qui y figurent alors qu’ils ne devraient pas, risquent d’être indûment passés en gestion collective.
Selon Calimaq, 538 œuvres du registres ont pourtant été publiées après la date butoir du 31 décembre 2000. Elles seront donc numérisées puis exploitées si aucun ayant-droit ou éditeur ne s’y oppose. Des livres de Didier Daeninkx, de Jacques Roubaud et de nombreux autres écrivains, pourtant toujours exploités, ont été relevés dans la base par François Bon, que cet épisode a passablement énervé.
dingue : la #BNF met dans les indisponibles des titres diffusés par @publienet comme Zinedine de Lilian Bathelot MARRE DE CETTE BUREAUCR 1/2
— françois bon (@fbon) March 21, 2013
2/2 ATIE DE CONS ! DÉBARRASSEZ-NOUS DES MINISTÈRES DE MERDE ! ILS NOUS CRÈVENT !
— françois bon (@fbon) March 21, 2013
Julien Delorme, assistant d'édition a relevé, rien que pour sa propre maison, 93 œuvres qui n’ont rien à faire sur cette liste: "Un quart à un tiers de ces références sont des ouvrages qui ont une nouvelle vie en format papier, et, pour certains, ils se vendent même très bien."
> Un recours trop compliqué?
Bien sûr, il existe un recours: chaque auteur ou éditeur doit passer la liste au peigne fin pour y retrouver ses œuvres inscrites par erreur.
Jacques Roubaud, 80 ans passés, est un grand auteur et sa maison d’édition se chargera certainement des démarches. Mais nombre d’écrivains ou d’ayant-droits ne sont pas nécessairement au courant de l’existence de ce programme, ou ne savent même pas comment aller sur Internet pour faire la vérification nécessaire. Pourtant, s’ils ne s’acquittent pas de ces démarches compliquées, ils verront l’exploitation de leur œuvre leur échapper.
Ce qui ne simplifie pas les choses, c'est que le recours doit se faire par courrier, titre par titre. Pour les éditeurs, comme Julien Delorme, c’est la croix et la bannière: "On doit montrer des pièces justificatives pour chacun des titres. Je suis même pas sûr de pouvoir les fournir. Et si on veut faire les choses correctement, il faudrait à minima contacter tous les ayant-droits."
Sans compter qu'il est possible qu’un auteur avisé ne trouve pas un livre qui, pourtant, est bien dans le registre, car des erreurs d'orthographes ont été décelées et les recueils de nouvelles ne sont pas référencés par les noms d’auteurs.
> Encore beaucoup d'incertitudes
Bien d’autres critiques enflamment les détracteurs du programme ReLIRE, comme la rétribution des revenus moitié auteur, moitié éditeur, jugée injuste, ou la nomination du conseil scientifique à la veille de la publication de la liste de 60.000 titres.
Outre le devenir juridique, la grande incertitude reste encore la qualité de la numérisation, comme le soulève Julien Delorme: "Cette première base de données pleine de mauvaises surprises ne donne aucune certitude sur l’application à venir..."