Marquis de Sade: le retour à Paris du plus sulfureux de ses manuscrits

le manucrit des "Cent Vingt Journées de Sodome" à Paris le 2 avril 2014. - Martin Bureau - AFP
200 ans après la mort du "divin marquis", il est de retour à Paris pour la modique somme de 7 millions d'euros. Le sulfureux manuscrit des Cent Vingt Journées de Sodome, écrit par Sade à la Bastille en 1785, a été caché, volé, vendu, disputé en justice en Suisse et en France.
Le rouleau autographe de cette oeuvre mythique, catalogue de perversions sexuelles d'une violence inouïe, rédigé à l'insu de ses geôliers par un Sade "embastillé", vient tout juste d'être rapatrié de Genève. Dans un état de conservation parfait, il sera présenté au grand public à l'Institut des lettres et manuscrits à partir de septembre.
"Ce manuscrit exceptionnel, volé en 1982, signalé à Interpol, et disputé par deux familles, est enfin de retour en France, au terme d'une histoire rocambolesque. Mais il m'a fallu trois ans d'âpres négociations", avoue à l'AFP son nouveau propriétaire, Gérard Lhéritier, président fondateur d'Aristophil et du Musée des Lettres et Manuscrits, un établissement privé. L'homme d'affaires a "déboursé au total 7 millions d'euros" pour cet original très convoité du marquis de Sade (1740-1814), qui devient l'un des trois manuscrits les plus chers conservés en France. Il est assuré 12 millions d'euros par les Llyods.
Bientôt classé "Trésor National"
Gérard Lhéritier l'a acheté à Serge Nordmann, fils d'un collectionneur suisse. Maintenant, "je vais le faire classer 'Trésor national' afin qu'il reste en France et revienne peut-être un jour à la Bibliothèque nationale de France", affirme Gérard Lhéritier.
En 1785, craignant la saisie de l'ouvrage, Sade recopie ses brouillons, d'une écriture minuscule et serrée, sur les deux faces d'un rouleau de papier chiffon de 12 mètres de long, composé de feuilles de 11,5 cm de large, collées bout à bout, qu'il dissimule dans le mur de sa cellule, raconte Gérard Lhéritier. En 1789, Sade est transféré à l'hospice de Charenton, laissant derrière lui son manuscrit. Jusqu'à sa mort, Sade regrettera cette perte, assurant avoir versé "des larmes de sang". En fait, le fameux rouleau a été récupéré lors de la destruction de la Bastille.
Bataille judiciaire franco-suisse
A la fin du XIXe siècle, il est vendu à un psychiatre berlinois, Iwan Bloch. En 1929, Charles et Marie-Laure de Noailles rachètent le manuscrit. Puis leur fille, Nathalie de Noailles, confie en 1982 le précieux rouleau à son ami l'éditeur Jean Grouet.
Mais quelques mois plus tard, Grouet a vendu le rouleau au collectionneur suisse d'oeuvres érotiques, Gérard Nordmann. S'en suit une féroce bataille judiciaire. La France tranche en juin 1990: le manuscrit a été volé et doit être restitué à la famille de Noailles. Nordmann a acquis légalement le document, sa "bonne foi est constituée", conclut de son côté le tribunal fédéral helvétique en mai 1998. Finalement, les héritiers de Gérard Nordmann, disparu en 1992, ont décidé de vendre ce trésor encombrant au goût de soufre.