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"Des agents explorateurs du chaos": des singes kidnappent les petits d'une autre espèce pour tromper l'ennui

Cette photographie prise le 20 mars 2023 par Brendan Barrett et publiée par l'Institut Max Planck du comportement animal montre un bébé singe hurleur, âgé de seulement 1 à 2 jours, s'accrochant au dos d'un singe capucin, sur l'île de Jicarón (Panama). (Photo d'illustration)

Cette photographie prise le 20 mars 2023 par Brendan Barrett et publiée par l'Institut Max Planck du comportement animal montre un bébé singe hurleur, âgé de seulement 1 à 2 jours, s'accrochant au dos d'un singe capucin, sur l'île de Jicarón (Panama). (Photo d'illustration) - Handout, Brendan Barrett / Max Planck Institute of Animal Behavior / AFP

Des scientifiques ont fait une drôle de découverte ces dernières années: des singes capucins enlèveraient des bébés singes hurleurs sur une île du Panama par... effet de mode. Un phénomène particulier qui tranche avec le comportement "normal" de ces animaux, pourtant loin d'être original.

De jeunes mâles capucins trompent leur ennui en cédant à une "tradition" étrange: ils kidnappent des bébés singes hurleurs, dans ce qui semble être, pour les scientifiques, le premier exemple d'animaux capturant sans raison apparente les petits d'une autre espèce.

La doctorante Zoë Goldsborough a détecté le phénomène en 2022 en étudiant des films pris par des caméras à détecteur de mouvement sur l'île Jicaron, au large du Panama. "J'ai été très choquée" de voir un capucin à face blanche portant un bébé singe hurleur sur son dos, a-t-elle expliqué à l'AFP.

Appelé Joker, à cause d'une cicatrice à la bouche rappelant aux chercheurs le méchant dans Batman, le capucin a été identifié à quatre reprises avec un bébé singe hurleur différent. Au point de croire initialement à "la jolie histoire d'un capucin étrange qui adoptait ces bébés", raconte Zoë Goldsborough, première autrice d'une étude sur le sujet parue dans la revue Current Biology.

D'autres cas ont également été mis au jour, avec cinq capucins portant onze bébés singes hurleurs sur une période de quinze mois. Et surtout des images de singes hurleurs adultes cherchant leurs petits en poussant des cris.

Cette photographie prise le 20 mars 2023 par Brendan Barrett et publiée par l'Institut Max Planck du comportement animal montre un bébé hurleur sur le dos d'un singe capucin utilisant des outils en pierre sur un site d'enclume sur l'île de Jicarón (Panama).
Cette photographie prise le 20 mars 2023 par Brendan Barrett et publiée par l'Institut Max Planck du comportement animal montre un bébé hurleur sur le dos d'un singe capucin utilisant des outils en pierre sur un site d'enclume sur l'île de Jicarón (Panama). © Handout, Brendan Barrett / Max Planck Institute of Animal Behavior / AFP

Une "mode" mortelle

Les chercheurs étaient perplexes, car les kidnappeurs ne mangeaient pas les bébés et ne semblaient pas s'amuser avec eux. Avant de réaliser que ces enlèvements étaient une tradition sociale, une sorte de "mode" répandue chez les jeunes mâles capucins de l'île, selon Zoë Goldsborough.

C'est la première fois qu'une étude répertorie le comportement d'enlèvements répétés des petits d'une espèce par une autre espèce, selon son co-auteur Brendan Barrett.

Mais cette tradition a un coût car si quatre bébés singes hurleurs ont été observés morts, aucun des autres n'est censé avoir survécu, selon les chercheurs. Qui s'interrogent sur le mode opératoire des kidnappeurs. Ils agissent sans doute dans les arbres du parc national Coiba, où les caméras sont placées au sol.

Cette photographie prise le 20 mars 2023 par Brendan Barrett et publiée par l'Institut Max Planck du comportement animal montre un bébé hurleur sur le dos d'un capucin adulte assis sur un site d'enclume (pour les outils en pierre) dans le lit d'un ruisseau, sur l'île de Jicarón (Panama).
Cette photographie prise le 20 mars 2023 par Brendan Barrett et publiée par l'Institut Max Planck du comportement animal montre un bébé hurleur sur le dos d'un capucin adulte assis sur un site d'enclume (pour les outils en pierre) dans le lit d'un ruisseau, sur l'île de Jicarón (Panama). © Handout, Brendan Barrett / Max Planck Institute of Animal Behavior / AFP
"Ils sont très habiles, parce qu'ils semblent être capables d'enlever à sa mère un bébé vieux d'un ou deux jours", selon Zoë Goldsborough.

Et sans dommage apparent, alors qu'un singe capucin est trois fois moins gros qu'un singe hurleur.

Le phénomène de tradition sociale a déjà été répertorié chez des animaux. Brendan Barrett a ainsi étudié des capucins au Costa Rica qui s'étaient mis à épouiller des porcs-épics, avant que cette mode ne passe. Dans les années 1980, des orques de la côte du Nord-Ouest américain avaient pris l'habitude d'exhiber des saumons morts sur leurs têtes. Un phénomène réapparu bien plus tard, avec l'observation il y a un an d'orques portant un "chapeau de saumon".

"Agents explorateurs du chaos"

Les chercheurs se sont intéressés aux capucins de Jicaron en 2017 parce qu'ils savent utiliser des pierres pour ouvrir des noix et des coquillages. Sans prédateurs et avec une ressource infinie de nourriture, ils ont beaucoup de temps libre.

"Ce sont des agents explorateurs du chaos", s'amuse Brendan Barrett.

Cette disponibilité est peut-être mise à profit pour la transmission de traditions sociales, comme l'utilisation de pierres comme outils, mais aussi de "comportements apparemment arbitraires", comme le vol de bébés, selon Brendan Barrett.

Selon Zoë Goldsborough, il y a eu au moins encore un vol de bébé depuis la conclusion de l'étude en juillet 2023. Et peut-être une baisse des enlèvements simplement parce qu'il y a moins de bébés à kidnapper, les singes hurleurs de l'île étant classés comme espèce en danger.

C.D. avec AFP