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Les archives du pontificat controversé de Pie XII s'ouvrent enfin

Pie XII.

Pie XII. - STRINGER / ANSA / AFP

A compter de ce lundi, le Vatican ouvre aux historiens ses archives consacrées au pontificat du pape Pie XII. Sa discrétion durant les atrocités de la seconde guerre mondiale et son silence sur le massacre des juifs et des populations persécutées par les nazis ont troublé sa réputation.

Il a exercé le pontificat le plus tourmenté de l'époque moderne. Entre la dénonciation urbi et orbi du régime nazi et la discrétion, le pape Pie XII avait choisi la seconde option. Ce silence sur le cours de la Seconde guerre mondiale et le génocide lui a valu de nombreux détracteurs au fil des décennies suivantes et une aura brumeuse auprès des historiens.

C'est pour dissiper ces nuées qui continuent à brouiller l'image de celui qui fut son souverain entre 1939 et 1958 que l'Eglise catholique a décidé d'ouvrir aux historiens, à compter de ce lundi, l'accès aux archives de ce règne. 

Une opération de grande ampleur 

Dans le détail, 121 fonds documentaires, garnis de 20.000 fascicules relatifs au magistère de Pie XII à la tête du catholicisme romain issus des archives apostoliques centrales du Vatican - qu'auparavant on enrobait sous l'appellation mystérieuse et officielle d'"archives secrètes" - sont désormais consultables par les chercheurs ayant formulé leur demande. A cet amas d'informations s'ajoute le déblocage de 1749 documents portant sur Pie XII des archives de la Congrégation pour la doctrine de la foi, anciennement connu sous le nom de Saint-Office et plus tôt encore en tant qu'Inquisition.

Enfin, la Secrétairerie d'État va tenir à la disposition des professionnels 1,3 million d'éléments numérisés, relevant des relations diplomatiques vaticanes, notamment les correspondances entretenues avec les nonces, envoyés diplomatiques de la papauté. 

Pie XII et la seconde guerre mondiale: un dossier déjà parcouru

Il ne faudrait pas croire toutefois que jusqu'ici les historiens en étaient réduits à se débattre au milieu du néant. Suivant la volonté de Paul VI, le Vatican avait déjà procédé, entre 1965 et 1981, à la publication en une dizaine de volumes des Actes et documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale. Autant dire que la période est déjà bien connue de ceux qui ont voulu savoir. Yves Chiron, historien spécialiste du catholicisme contemporain, biographe, entre autres, des papes Pie XI et Paul VI, a d'ailleurs expliqué à BFMTV.com qu'il ne fallait pas trop attendre de cette nouvelle ouverture d'archives:

"Toute ouverture est bonne pour les historiens, ça peut amener de nouvelles choses mais à mon sens il n'y aura pas de révélation concernant la période de la seconde guerre mondiale et la question juive, car beaucoup est déjà connu".

L'expert n'y voit pas non plus une levée du secret: "L'accès aux archives apostoliques est facile si on est recommandé".

Dossiers internationaux, affaire de mœurs: les vrais secrets des archives? 

Un non-événement par conséquent? Non, mais l'essentiel pourrait bien être glané ailleurs. "Sur le pontificat en tant que tel, sur la gestion des affaires courantes, l'après-guerre, en particulier dans le volet portant sur les relations avec les Etats, notamment communistes, il peut y avoir de nouveaux dossiers, importants pour les historiens", précise Yves Chiron. Il illustre son propos:

"En 1952-1953, le nonce de l'Eglise catholique en Chine est expulsé. Dès lors, il n'y avait plus de représentation diplomatique vaticane sur place. Je pense qu'on peut trouver dans les archives du pontificat des traces d'échanges avec des intermédiaires, d'envois d'émissaires discrets". L'historien pointe aussi dans une dernière direction: "Peut-être que des dossiers autour d'affaires de mœurs pourraient aussi être mis au jour".

A l'origine d'une légende noire 

Des apports modestes, loin des atrocités nazies, à l'évidence, la postérité de Pie XII, né Eugenio Pacelli, ne risque pas de connaître de si tôt la paix du consensus dans l'opinion publique. Les reproches à l'égard de Pie XII, brocardant une mollesse présumée devant le nazisme, un mutisme coupable au sujet de l'Holocauste, collent depuis longtemps au pape. "Pie XII a été heurté de plein fouet par la question de ce soi-disant silence, et ce de son vivant, dans les années 1950", ajoute Yves Chiron.

Le monde de la culture a tapé très fort sur ce pontificat: "J'ai plusieurs choses en tête, comme une phrase de François Mauriac et une chanson de Léo Ferré, Monsieur Tout Blanc. Et puis, il y a eu la pièce Le Vicaire, qui a donné plus tard le film Amen". Après quoi, l'image de Pie XII a été très écornée bien qu'on assiste "à une forme de réhabilitation de son action à l'égard des juifs" ces dernières années. 

Opposition de styles 

La réputation de Pie XII, qui fut nonce en Allemagne dans les années 1920 puis secrétaire d'Etat du Vatican, a d'autant plus pâti de ces circonstances que le souverain pontife avait succédé au pape Pie XI, un homme qui n'avait jamais caché son aversion pour le fascisme et le nazisme... Au point de quitter le Vatican avec toute la maison pontificale le 30 avril 1938 pour protester contre l'accueil d'Adolf Hitler à Rome quelques jours plus tard, couvant pendant six mois son indignation sur les hauteurs de Castel Gandolfo.

Mais le contraste entre l'ondoyant diplomate, soucieux de ne pas mettre en péril les catholiques vivant dans les territoires allemands ou contrôlés par ces derniers, et son flamboyant prédécesseur est avant tout une opposition de styles d'après Yves Chiron: "Ils avaient des tempéraments très différents. Pie XI avait tendance à se mettre en colère facilement, il était très direct. Pie XII, lui, était très méthodique, réservé, diplomate mais sur la ligne politique, il n'y avait pas un iota entre les deux". 

"Les controverses sur l'attitude de Pie XII sur la question juive ont suscité beaucoup de livres mais des démonstrations ont été faites pour montrer que ce n'était pas un silence d'approbation", appuie le biographe. 

Robin Verner