Qu'est-ce que l'ENA, cette "école de l'élite" que Macron souhaite supprimer?

Mur de photos de précédentes promotions de l'ENA dans ses locaux de Strasbourg. - PATRICK HERTZOG / AFP
Parmi les annonces d'Emmanuel Macron diffusées mardi, l'une des plus inattendues est peut-être la fermeture de l'École Nationale de l'Administration (ENA), lieu iconique de formation des hauts-fonctionnaires français et d'une bonne partie de la classe politique.
Emmanuel Macron, sorti lui-même de cette école en 2004, souhaite recréer l'élite française, "c’est pourquoi nous changerons la formation, la sélection, les carrières en supprimant l’ENA et plusieurs autres structures pour en rebâtir l’organisation profonde", avait-il précisé dans son allocution.
"Démocratiser l’accès à la haute fonction publique"
L'ENA a été créée en octobre 1945 par le Général De Gaulle, et a pour "principes fondateurs de démocratiser l’accès à la haute fonction publique", explique le site de l'école. Mais aussi "de professionnaliser la formation des hauts fonctionnaires", pour reconstruire la France au lendemain de la guerre. D'abord à Paris, elle a été déménagée à Strasbourg en 1991, sur demande de la Première ministre Édith Cresson.
L'ENA a pour mission de recruter et de former des hauts fonctionnaires français comme étrangers au niveau de l'Hexagone, mais aussi sur les questions européennes et plus largement internationales. Très sélective, sur les quelque 13 ou 14.000 dossiers de candidats reçus chaque année par l'école, moins d'une centaine d'étudiants l'intègrent.
D'après la brochure de l'école, l'ENA explique avoir "formé plus de 6500 hauts fonctionnaires français et près de 3650 étrangers. Plus d’une centaine de nationalités se côtoient chaque année, sans compter les quelque 1300 personnes originaires du monde entier qui participent à des visites d’études."
Par tradition, chaque nouvelle promotion prend le nom d'une personnalité célèbre. Emmanuel Macron est par exemple issu de la promotion Léopold Sédar-Senghor (2002-2004). Le cru 2018-2019 a choisi "Molière". Une fois diplômés, les énarques travaillent dans les ministères en tant que conseillers ou collaborateurs, mais aussi les corps préfectoraux, les tribunaux administratifs ou bien même les chambres de comptes.
Critiquée pour son élitisme
Souvent critiquée pour son manque de diversité sociale et de parité, l'ENA est présentée comme une école de l'élite française. Mais elle essaye de changer d'image, de diversifier ses profils, et met par exemple en avant les 26% d'élèves boursiers faisant partie de la dernière promotion.
"Nous avons besoin d'une élite, de décideurs", estime Emmanuel Macron dans son allocution non diffusée. En remplaçant l'ENA par un autre modèle, le chef de l'Etat souhaite qu'on donne "à tous nos jeunes leurs chances en fonction uniquement de leur mérite et pas de leur origine sociale ou familiale".
Les élus de la Vème République
Parmi les énarques, on retrouve de nombreux hommes et femmes politiques de la Vème République, notamment quatre présidents de la République: Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac, François Hollande et Emmanuel Macron.
Mais également huit Premiers ministres: Jacques Chirac encore (deux fois à cette fonction), Laurent Fabius, Dominique de Villepin, Lionel Jospin, Alain Juppé, Édouard Balladur, Michel Rocard, et Édouard Philippe. Michel Debré, Premier ministre de 1959 à 1962, a quant à lui contribué à créer cette école. Une tripotée de ministres est également passée sur les bancs de l'ENA, de Ségolène Royal à Michel Sapin, en passant par Audrey Azoulay et Bruno Le Maire, qui s'était d'ailleurs prononcé pour la fermeture de l'ENA.
Cette école a dernièrement été dirigée par Nathalie Loiseau (2012 à 2017), actuelle tête de liste LaRem aux européennes et ex-ministre aux Affaires européennes.
"L'ENA ce n'est pas un moule"
L'ENA est également pointée du doigt pour ses formations qui empêcheraient toute originalité et créerait des technocrates à la pensée unique. Le profil des élèves pour la rentrée 2017 de cette école avait notamment été caractérisé de "lisse, sans aspérité et, somme toute, dépourvu de toute originalité", selon un rapport de l'école elle-même.
Pour tenter de palier ce formatage, le grand oral, épreuve ultime, est prévu pour mettre en difficulté les élèves avec des mises en situation managériales, ou essaye de pousser certains candidats à donner leur opinion, afin de les faire sortir des postures et des stéréotypes.
"J'ai la tête d'un moule? Vous trouvez? Je vous donne le sentiment d'être fait dans un moule? Ben, l'ENA ce n'est pas un moule, c'est un moule pour qui veut le devenir", avait de son côté déclaré un Emmanuel Macron en pleine campagne présidentielle, défendant, à l'époque, les études dont il était issu.