Pour le Défenseur des droits, l'état d'urgence est "une pilule empoisonnée"

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon (photo d'illustration) - Martin Bureau - AFP
Du maintien de l'ordre lors des manifestations gilets jaunes au traitement des étrangers sur le sol français, le constat du Défenseur des droits est direct: il y a un "renforcement (...) de la répression" en France, selon son rapport annuel publié ce mardi. Jacques Toubon s'inquiète également d'un "affaissement" des libertés inspiré par l'état d'urgence de 2015.
L'état d'urgence, "une pilule empoisonnée"
"En France, s'est implantée une politique de renforcement de la sécurité et de la répression face à la menace terroriste, aux troubles sociaux et à la crainte d'une crise migratoire alimentée par le repli sur soi", pointe cette autorité indépendante chargée notamment de défendre les citoyens face à l'administration.
Dans son rapport 2018, qui couvre la période d'éclosion du mouvement des gilets jaunes, l'institution présidée par l'ancien ministre de droite s'interroge notamment sur "le nombre jamais vu d'interpellations et de gardes à vue intervenues de manière préventive" lors de certaines manifestations.
Jacques Toubon renouvelle son opposition aux lanceurs de balle de défense (LBD):
"Plutôt que l'utilisation des LBD qui font courir des risques à l'intégrité physique des manifestants et ceux qui maintiennent l'ordre, d'autres matériels pourraient être utilisés plus largement, le canon à eau par exemple", déclare-t-il au Parisien.
Il dévoile également le nombre de 1520 dossiers reçus concernant la déontologie de la sécurité (violences, refus de plainte, propos déplacés...).
"Criminalisation des migrations"
Il estime que la gestion de la contestation sociale "semblent s'inscrire dans la continuité des mesures de l'état d'urgence", décrétées après les attentats du 13 novembre 2015. Ce régime d'exception, resté en vigueur pendant deux ans et dont certaines dispositions ont été conservées dans la loi, a agi comme une "pilule empoisonnée" venue "contaminer progressivement le droit commun, fragilisant l'État de droit", estime le rapport.
Cette logique sécuritaire imprègne également le droit des étrangers, selon le rapport du Défenseur qui estime que la France mène "une politique essentiellement fondée sur la police des étrangers, reflétant une forme de criminalisation des migrations".
Baisse de la qualité des services publics
En 2018, ce sont également les réclamations liées aux services publics qui ont particulièrement occupé le Défenseur des droits: elles représentent 93% des dossiers traités par une institution toujours plus sollicitée. Avec 96.000 dossiers en 2018, le Défenseur des droits a vu les réclamations augmenter de 6,1% en un an.
Retards dans le versement de certaines retraites, suppression du guichet dans les préfectures pour délivrer le permis de conduire, "déserts médicaux"... Le rapport s'alarme d'un "repli des services publics".
Un tableau noir que le Défenseur relie au ras-le-bol fiscal exprimé par les gilets jaunes. Selon lui, "en s'effaçant peu à peu, les services publics qui, en France constituent un élément essentiel du consentement à l'impôt, hypothèquent la redistribution des richesses et le sentiment de solidarité, sapant progressivement la cohésion sociale".