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La langue des signes permet-elle vraiment de mieux communiquer avec les bébés?

De plus en plus de crèches utilisent la langue des signes pour communiquer avec les bébés.

De plus en plus de crèches utilisent la langue des signes pour communiquer avec les bébés. - PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV

De plus en plus de crèches proposent de pratiquer la langue des signes avec les bébés. L'objectif affiché est de "mieux comprendre les besoins" des nourrissons. La recherche scientifique s'est déjà penchée sur la question.

Auxiliaire de puériculture en région parisienne, Dominique* évoque le cas de cette "petite fille de 17 mois qui ne parle pas encore", mais "signe" avec les professionnels de la crèche où elle travaille.

"Elle signe 'bonjour', 'merci', 'encore', 'manger', 'interdit', 'changer la couche'", assure-t-elle. "Elle signe aussi le mot 'chien' quand on lit une histoire avec un chien, elle en a un à la maison."

Depuis plusieurs années, la langue des signes pour bébé, également appelée communication gestuelle associée à la parole, gagne de plus en plus d'établissements d'accueil du jeune enfant. Concrètement, il s'agit d'une version simplifiée de la langue des signes française (LSF): il ne s'agit pas pour les bébés comme les professionnels de la petite enfance de signer toute la phrase prononcée, mais seulement quelques mots significatifs empruntés à la LSF.

"Il ne s'agit pas de ne plus parler et de ne communiquer qu'en signant", explique à BFMTV.com Julie Cottencin, psychologue clinicienne et auteure de Je signe avec bébé. "Il s'agit d'ajouter un signe à la parole."

Pour certaines crèches, "ça fait bien"

Signer est ainsi devenu "un automatisme" pour Dominique. Formée par son précédent employeur - une crèche inclusive avec des enfants porteurs de handicap - cette professionnelle de la petite enfance ne manque pas une occasion pour signer avec les bébés: quand elle lit une histoire, chante une comptine ou au moment des repas. Et ça prend, affirme-t-elle.

"Certains enfants intègrent très vite les signes et les reproduisent à bon escient", observe avec enthousiasme Dominique.

"J'en ai plusieurs qui, quand l'heure du repas approche, s'installent sur leur chaise et signent le mot 'manger' (la main en bec de canard qui pointe deux fois vers la bouche, NDLR)", illustre-t-elle. "C'est vraiment amusant."

Dans la crèche privée où elle travaille actuellement, c'est d'ailleurs un projet porté par la direction. "C'est le sujet du moment", abonde pour BFMTV.com Marine*, directrice d'une crèche familiale en région parisienne. Elle remarque un intérêt grandissant pour le sujet, aussi bien chez les professionnels de la petite enfance que chez les parents. "Certaines crèches privées communiquent beaucoup là-dessus, ça fait bien", estime-t-elle.

Mais difficile pour autant d'estimer le nombre d'établissements d'accueil du jeune enfant qui la pratiquent. Si la Fédération française des entreprises de crèches reconnaît que la langue des signes pour bébé est une pratique pédagogique "qui se déploie" chez plusieurs de ses adhérents, elle ne dispose pas de données.

"Donner la parole avec les signes"

Au relais petite enfance intercommunal du Sivom Vallée de la Save, qui regroupe quatre communes de Haute-Garonne (Lévignac, Lasserre-Pradère, Mérenvielle et Sainte Livrade), on est convaincu des bénéfices de la langue des signes avec les bébés. Caroline Gendre, responsable du relais, a lancé ce projet il y a six ans. Depuis, huit des 27 assistantes maternelles ont souhaité être formées à la langue des signes pour bébé et la pratiquent au quotidien. Elle espère en convaincre d'autres.

"C'est un des leviers qui facilitent la communication avec les bébés", affirme-t-elle à BFMTV.com. "Cela permet de mieux les accompagner et de mieux comprendre leurs besoins."

La langue des signes avec les bébés est "un vrai plus", juge cette éducatrice de jeunes enfants de profession, "une aide" et "un éveil supplémentaire". "Un enfant commence à prononcer ses premiers mots vers 13/14 mois, mais il peut faire ses premiers signes vers 8/9 mois", abonde la psychologue Julie Cottencin. "On peut lui donner rapidement la parole avec les signes."

Elle évoque le cas d'un enfant de 15 mois qui parlait à peine et ne connaissait pas encore le mot "peur" mais qui a pourtant signé "peur" quand un cheval s'est approché de lui. Julie Cottencin cite d'autres bénéfices: une réduction de la frustration des enfants, un développement de leur motricité fine et une augmentation de leur attention visuelle. "Certaines professionnelles me disent que la pratique de la langue des signes a permis de réduire le volume sonore" de leur crèche, ajoute-t-elle.

Peu d'études "bien faites"

La psychologue dénonce "les idées fausses" qui circulent parfois sur le sujet. "Certains craignent que cela retarde l'oralisation alors qu'au contraire, ça l'encourage", assure-t-elle.

Un point sur lequel la recherche scientifique s'est penchée. "La langue des signes pour bébé aide-t-elle à développer le langage ou au contraire le ralentit-elle? La réponse est non dans les deux cas", tranche pour BFMTV.com Jean-Rémy Hochmann, chercheur au CNRS en sciences cognitives du développement. "Il n'y a pas de réel impact, que ce soit de manière positive ou négative."

"Il n'a pas non plus été prouvé que le baby sign (autre nom de la langue des signes pour bébé, NDLR) améliore la motricité fine", abonde pour BFMTV.com Isabelle Dautriche, chercheuse au CNRS en psychologie et neurosciences. Elle précise néanmoins que peu d'études "bien faites" ont été menées sur le sujet. "En tout cas, ce n'est pas délétère pour l'enfant."

Quid de l'aspect facilitateur de la langue des signes dans la gestion des frustrations, des pleurs? "Ce sont des variables qualitatives plus difficiles à évaluer", met encore en garde Isabelle Dautriche, spécialiste de l'acquisition et du traitement du langage. Dans une étude qu'elle a d'ailleurs menée sur la perception des pleurs par les parents, le bénéfice de la langue des signes n'a ainsi pas été mis en évidence.

"En revanche, ce qui a été montré dans quelques études, c'est que c'était bénéfique sur la relation parent-enfant, mais comme peuvent l'être d'autres activités menées avec son enfant", poursuit-elle.

"La société s'est emparée de ce sujet, mais c'est très peu basé sur de la recherche scientifique. Cela relève souvent du ressenti, de l'anecdote."

Un "gadget sympa"?

Pour Jean-Rémy Hochmann, fondateur du Babylab de Lyon - une unité du CNRS - ce qui est certain, c'est que dès leurs premiers mois de vie, "les bébés comprennent beaucoup de choses". "Ils sont capables de penser bien avant de pouvoir parler." Si ce spécialiste du langage, de la logique et de l'attention du bébé considère ainsi que la langue des signes pour bébé demeure un "gadget", "c'est un gadget sympa".

"Vouloir donner au bébé un moyen de communiquer avant qu'il ne puisse articuler des mots, l'intention est plutôt bonne."

Nawal Abboub, docteure en sciences cognitives et auteure de La Puissance des bébés, abonde. "Signer avec les bébés, cela peut être un coup de pouce", avise-t-elle pour BFMTV.com. "Car ils produisent déjà des signes: ils pointent, font non de la tête, protestent, pleurent. Si la langue des signes peut enrichir leur communication avec les professionnels, c'est positif."

Mais à l'exception des enfants mal-entendants ou porteurs de handicap, cela reste un "outil intéressant" mais un outil "qui a des limites". "Ce n'est pas suffisant pour qu'ils apprennent leur langue maternelle", insiste-t-elle.

Dans les faits, la pratique quotidienne de la langue des signes avec les bébés n'est par ailleurs pas évidente à mettre en place. "Si on signe ponctuellement, ça n'a pas grand intérêt", met en garde Marine, la directrice de crèche. "Dans ce genre de projet, il faut que toute l'équipe adhère. Or, il est parfois compliqué de fédérer les équipes. Et ce n'est pas une journée de formation qui suffit."

Marine a d'ailleurs organisé une formation avec les professionnelles de sa structure, "c'était censé être un projet de crèche". Mais si les assistantes maternelles ont apprécié, "elles ne signent pas au quotidien". "Sans compter que ce n'est pas évident avec un biberon ou un bébé dans les bras", nuance encore cette directrice de crèche.

"Celles qui ne signent pas font autre chose avec les enfants", tempère Caroline Gendre, du relais petite enfance du Sivom Vallée de la Save. "Il n'y a pas que la langue des signes, on peut tout à fait améliorer la communication avec les bébés par d'autres méthodes", complète la chercheuse Nawal Abboub. "Dans tous les cas, c'est le langage qui reste central dans le développement d'un enfant."

* Le prénom a été modifié, à la demande de l'intéressée.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV