Jurassic Park a 25 ans mais recréer des dinosaures "c’est encore plus de la science-fiction qu’à l’époque"

Le squelette d'un T-Rex au Museum d'Histoire Naturelle de Paris, le 1er juin 2018. - STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
C’est une scène mythique du premier Jurassic Park, dont le premier opus est sorti en 1993. On y voit le milliardaire John Hammond - celui qui a "dépensé sans compter" - projeter un dessin animé à des paléontologues, leur expliquant comment, grâce à du sang collecté sur un moustique retenu dans de l’ambre, il a pu faire renaître une espèce disparue. Une méthode restée jusqu’à maintenant au stade de doux rêve. En fait, cette hypothèse pseudo-scientifique a surtout permis d’étirer la série jusqu’à aujourd’hui, puisque le cinquième et dernier opus de la saga, Jurassic World: Fallen Kingdom, déboule sur les écrans à partir de mercredi.
Mais en 25 ans, la science a eu le temps de progresser. Recréer des T-Rex à partir de fragments d’ADN, est-ce devenu réaliste?
"Je pense que c’est encore plus de la science-fiction qu’à l’époque, répond Eric Buffetaut, paléontologue au CNRS. On n’a pas fait le moindre progrès dans cette direction. On est même plutôt beaucoup plus sceptique qu’on l’était il y a 25 ans. A l’époque, on pensait éventuellement que de l’ADN remontant à l’époque des dinosaures aurait pu se conserver, parce que des études prétendaient qu’on pouvait retrouver de l’ADN conservé dans l’ambre. Mais il s’est avéré que c’était probablement une erreur de manipulation. Absolument tous les spécialistes sont d’accord sur le fait que cet ADN était en réalité pollué par de l’ADN récent, et qu’il n’avait rien à voir avec de l’ADN ancien".
"On soupçonne que des puces géantes attaquaient les dinosaures"
Au moment de la sortie du premier Jurassic Park, cette piste était pourtant "plausible", remarque André Nel, paléoentomologiste au Museum d’histoire naturelle de Paris. "Cela a intéressé pas mal de chercheurs qui se sont dits "tiens, et pourquoi pas?". Bon, le truc rigolo, c’est que le moustique qu’ils montrent dans le film est tellement gros que c’est sans doute un insecte qui ne pique pas", s’amuse le chercheur. Par contre, l’existence de parasites se régalant du sang des dinosaures est avérée. "On soupçonne que des puces géantes attaquaient les dinosaures, parce qu’elles sont très grosses et qu’elles ont de sacrées pièces buccales pour piquer. Il y a un autre groupe qui devait piquer les dinosaures, ce sont des petites mouches qui piquent de nos jours des lézards autour des yeux, des narines, et de l’anus. Certains dinosaures avaient aussi du duvet ou des plumes, donc les parasites pouvaient s’y accrocher", reprend André Nel.
Sauf que c’est encore très loin de suffire, quand bien même on tomberait sur ce genre de parasite, comme ce fut le cas avec des tiques retrouvées prisonnières dans de l’ambre en Birmanie, en décembre dernier.
"L’ADN se dégrade très vite, reprend Eric Buffetaut. Au-delà de peut-être 50.000 ans ça devient très compliqué. Et pour que ça puisse être de l’ADN de dinosaure, il faut qu’il ait plus de 66 millions d’années. On a eu par exemple beaucoup de mal à séquencer l’ADN de l’homme de Néandertal, qui s’est éteint il y a plusieurs dizaines de milliers d’années. Dans la plupart des cas l’ADN retrouvé était totalement inutilisable. L’équipe qui a réussi à le faire a passé énormément de temps pour retrouver quelques spécimens où il y avait de l’ADN à peu près correct".
Pour le moment, "ce que certains espèrent encore c’est ressusciter des espèces disparues mais récentes, comme le tigre de Tasmanie, qui s’est éteint en 1935, ou même le mammouth (disparu il y a 4000 ans, ndlr), parce que là au moins, il y a de l’ADN disponible".
"Un événement a pu permettre à un fossile d’être mieux conservé que d’autres"
Par ailleurs, et contrairement à ce que met en avant le film, l’ambre ne serait pas le milieu idéal de conservation. "Déjà, l’insecte va digérer le sang. A la limite, il y aurait presque plus de chances de trouver des petits bouts d’ADN dans les ossements de dinosaures qui seraient super bien conservés pour une raison ou pour une autre, quoi que j’en doute un peu parce que c’est vraiment vieux. Par ailleurs, un article scientifique est sorti expliquant que les résines étaient assez défavorables: en rentrant dans l’organisme, elles ont tendance à détruire l’ADN", assure André Nel.
Une découverte qui n’aide pas vraiment la poursuite des recherches de nouveaux échantillons. "En paléontologie ce qui est très important c’est ce qu’on appelle la conservation exceptionnelle: un événement a pu permettre à un fossile d’être mieux conservé que d’autres, assure Romain Garrouste, paléoentomologiste à l’Institut systématique, évolution, biodiversité (MNHN-CNRS). Mais ils ont réussi à démontrer qu’il n’y avait plus d’ADN dans les résines, donc à chaque fois qu’on essaie de monter des projets, qu’on demande de l’argent parce qu’on a des spécimens qui pourraient être mieux conservés, on nous dit ‘non ça ne sert à rien, il n’y en a pas vous allez perdre du temps’. Cela mérite débat".
"On est capable de recréer des bactéries, mais on sait qu’on est capable d’aller beaucoup plus loin"
D’autant plus que selon lui, les progrès de la science, à l’image du fameux ciseau génétique CRISPR-Cas9, peuvent laisser espérer des avancées.
"Ce qui est important, c’est de voir les capacités que vont nous offrir la biologie de synthèse, explique Romain Garrouste. Elles vont nous permettre des choses extraordinaires, mais aussi beaucoup de choses inutiles. On avance pas à pas. C’est long, mais il y a 25 ans, on était loin de penser à ça. Aujourd’hui, on est capable de recréer des bactéries, mais on sait qu’on est capable d’aller beaucoup plus loin".
Mais ne lui parlez pas de recréer les dinosaures de A à Z: "Si on est capable de recréer des espèces disparues, ça veut dire que ce n’est pas grave, qu’on peut continuer à les détruire puisqu’on pourra les faire revivre".
Pour le moment, "faire le limier sur des fossiles me paraît tout aussi informatif, voire plus, que de recréer ces organismes", reprend le chercheur. Mais pour cela, il faut continuer à développer des techniques permettant des analyses qui ne détruiraient pas les fossiles afin de "garder leur intégrité physique et chimique, pour ne pas les empêcher de les faire parler par des méthodes qu’on ne connait pas encore", prévient Romain Garrouste. Récemment, les paléontologues ont ainsi fait "beaucoup de progrès sur les couleurs" des dinosaures, grâce à "des pigments plus ou moins dégradés", reprend André Nel. Selon lui, "c’était inimaginable il y a 5 ou 6 ans, et ça peut donner des reconstitutions plus fiables de ces petites bêtes". Et aider à les rendre encore plus réalistes dans les blockbusters hollywoodiens.