Harcèlement sexuel: peu de victimes portent plainte malgré l'arsenal juridique

- - AFP
Une femme active sur cinq a dû faire face à une situation de harcèlement sexuel au cours de sa carrière. Or, seulement 5% de ces femmes portent plainte. Dans les transports en commun, le constat est d'autant plus frappant: 100% des femmes ont déjà été harcelées. Pourtant, si l'infraction est difficile à caractériser et les classements sans suite fréquents, l'arsenal juridique existe bel et bien.
Ces derniers jours, un grand nombre de témoignages sont apparus sur les réseaux sociaux: viols, harcèlement sexuel, ou des comportements déplacés de la part d'hommes, notamment dans le cadre du travail. En effet, ces derniers jours après les révélations concernant le producteur américain Harvey Weinstein, la parole s'est libérée, notamment sur Twitter avec le hasthag #balancetonporc.
"J'invite les femmes qui évoquent sur Internet des situations très concrètes à aller porter plainte", a déclaré la garde des Sceaux, Nicole Belloubet.
"J'ai porté plainte (...) relancé une fois, deux fois le commissariat, et puis rien"
Une "invitation à agir" qui a fait "bondir" Johanne, une auditrice de France Inter, interpellant la ministre à l'antenne: "J'ai subi une exhibition sexuelle dans le cadre de mon travail (...). J'ai porté plainte au commissariat, j'ai reconnu mon agresseur sur un placardage, j'ai relancé une fois, deux fois le commissariat, et puis rien. Ça fait quatre ans. À quoi ça sert d'aller porter plainte? À rien".
Concernant le harcèlement sexuel dans les transports en commun, "il y a très peu de plaintes déposées concernant les frotteurs dans le métro", souligne une source policière. "Les rames de métro sont bondées, les femmes ne voient pas l'agresseur, il n'y a pas de caméras, elles ne déposent pas plainte", résume-t-il.
Une brigade anti-"frotteurs" dans les transports
Pourtant, il existe à Paris "une brigade spécialisée dans la poursuite des frotteurs", mais "cette dernière est davantage saisie de faits avec violence ou répétitifs", indique cette même source.
Mais alors, en quoi consiste concrètement le harcèlement sexuel? La loi du 6 août 2012 définit le harcèlement sexuel comme "le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante".
Mais également, "est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers".
"Si la justice n'est pas saisie, il n'y aura jamais de condamnation"
Pour lutter contre le harcèlement de rue, la garde des Sceaux avance une piste: la création d'une infraction pour "outrage sexiste". Selon elle, "à titre symbolique, ce serait important qu'il y ait ce type de contravention". Pourtant, pour Virginie Duval, présidente de l'Union syndicale des magistrats, "l'arsenal juridique (déjà existant) est suffisant".
D'ailleurs, le problème réside dans le fait que les victimes ne portent pas plainte, selon elle. "Si la justice n'est pas saisie, il n'y aura jamais de condamnation", rappelle-t-elle.
Un projet de loi prévu pour 2018
Même constat pour Clarisse Taron, président du Syndicat de la magistrature (SM): même s'il s'agit d'une "infraction qui n'a pas de trace", il existe des "éléments matériels", assure-t-elle. "Cela peut être des témoignages, même indirects, qui viennent corroborer des déclarations. Par exemple, des termes très spécifiques que pourrait utiliser l'agresseur, ou le fait que de nombreuses plaignantes allèguent les mêmes choses".
L'omerta ne vient pas d'une faille juridique, selon Clarisse Taron. "Il faut d'abord inciter les femmes à porter plainte, lutter contre le sexisme, l'inégalité homme/femme: c'est un problème de société, pas un problème de droit".