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Faut-il faire croire à ses enfants au Père Noël?

Il semblerait que le Père Noël ait pris un peu d'avance cette année. Ici, le 17 décembre 2017 à Berlin

Il semblerait que le Père Noël ait pris un peu d'avance cette année. Ici, le 17 décembre 2017 à Berlin - John Macdougall-AFP

Ils refusent de mentir à leurs enfants. Certains parents ne veulent pas que leurs petites filles et petits garçons croient au Père Noël. Pourtant, ce vieux bonhomme à barbe blanche a du bon, estiment les pédopsychiatres.

Le Père Noël, une évidence? Pas pour tout le monde. Alors que le 25 décembre approche à grands pas, certains refusent de faire croire à leurs enfants que ce vieux monsieur à barbe blanche se déplaçant de continent en continent sur un traîneau tiré par des rennes voue son existence à la livraison de cadeaux. 

Pour des raisons religieuses, pour préparer leurs enfants à la réalité de la vie, pour des questions morales ou encore parce qu'ils ne veulent pas leur mentir, certains parents refusent de faire croire au Père Noël à leurs enfants. Marie-Christine et Serge ont fait ce choix pour leur fille, qui a aujourd'hui 23 ans.

"Je savais qu'il n'existait pas mais j'y croyais quand même"

Lui n'y a jamais cru, ses propres parents refusant de participer à la légende. Elle, qui a été traumatisée et se souvient de ses larmes lorsqu'elle a appris qu'il n'existait pas, refusait de faire vivre ce choc à son enfant. L'enfance de Liv, leur fille, a été baignée par ce paradoxe: l'honnêteté de ses parents et la "propagande" ambiante.

"J'avais 4 ans et je leur ai demandé si le Père Noël existait. Il m'ont répondu que non. Je leur ai à nouveau demandé lors d'un sapin de Noël à la maternelle, ils m'ont répondu la même chose, témoigne-t-elle pour BFMTV.com. Je savais donc qu'il n'existait pas mais j'y croyais quand même un peu. Tout le folklore me faisait douter. Par exemple, j'écrivais ma lettre tout en sachant que c'étaient mes parents qui faisaient les cadeaux. Mais je ne disais rien aux autres enfants, j'avais le sentiment d'avoir une certaine responsabilité."

La jeune femme regrette tout de même de ne pas "y avoir cru à fond". Malgré le choix qu'elle a fait de ne pas mentir à sa fille, Marie-Christine remarque que "les enfants ont envie d'y croire malgré tout".

"C'est une nouvelle mode"

Faut-il parler d'une tendance? Si la grande majorité des parents entretiennent le mythe du Père Noël, certains s'opposent à faire perdurer ce mensonge. "Autrefois, on ne se posait pas la question. C'est une nouvelle mode, remarque pour BFMTV.com Agnès Pargade, pédopsychiatre dans les Pyrénées-Atlantiques. J'ai quelques parents dans ce cas-là."

Maria Montessori, une pédagogue mondialement connue pour avoir développé une méthode et des écoles portant son nom, est l'une des premières à avoir dénoncé les travers de la légende du Père Noël.

"Est-ce la crédulité que nous voulons développer chez nos enfants?" s'interroge-t-elle dans son ouvrage L'Éducation élémentaire. "Est-ce cette imagination illusoire construite sur la crédulité que nous devons 'développer' chez les enfants? (...) C'est nous qui nous divertissons de la fête de Noël et de la crédulité de l'enfant."

"Je ne me vois absolument pas mentir à mon fils"

Sur internet, de plus en plus de parents blogueurs refusent eux aussi de cautionner cette croyance. "Je ne me vois absolument pas mentir à mon fils", témoigne Floriane sur son blog, assurant qu'elle ne veut pas "trahir sa confiance". La jeune femme raconte s'être elle-même sentie "trahie" lorsque ses parents lui ont révélé la vérité à l'âge de 6 ans.

"Essayer d'apprendre à un enfant à être droit et honnête avec les autres tout en lui mentant droit dans les yeux pendant des années au sujet du Père Noël me paraît totalement contradictoire et insensé (...) Ce mythe n'aide vraiment pas à développer chez les enfants ces valeurs qu'on aimerait pourtant leur inculquer: la valeur des choses, le plaisir d'offrir et de recevoir, le sens du partage, le fait que le plus important ne se situe pas dans le matériel."

Il cumule tout ce que la jeune femme condamne en matière d'éducation: "mensonge, chantage, système punitions/récompenses, compliments sur 'l'enfant sage'". Un avis partagé par une autre blogueuse, qui estime qu'il est "assez hypocrite et réducteur" de résumer la magie de Noël "à ce gros bonhomme" et préfère la figure de Saint-Nicolas.

"Pourquoi priver les enfants de savoir qu'il y a des proches qui les aiment, qui veulent les gâter, parfois au prix de sacrifices, et leur laisser penser que tous ces présents tombent littéralement du ciel?" écrit-elle.

Un rite de passage

Une étude menée par des psychologues britanniques de l'université d'Exeter et publiée en 2016 va dans ce sens. Selon eux, mentir aux enfants au sujet du Père Noël pourrait entamer la confiance qu'ils accordent aux adultes. Les chercheurs jugent également que les parents pourraient être davantage motivés par la volonté de retrouver la joie de leur propre enfance plutôt que de susciter de la magie chez leurs enfants.

C'est également ce que remarque pour RMC Sébastien Chapellon, docteur en psychologie à l'université de Guyane. "À travers ce mensonge ritualisé, les parents jouent un vilain tour à l'enfant (...) Il va douter (...) remettre en cause le discours parental. Il prend une nouvelle distance qui n'est pas sans douleur." Mais il considère que cette désillusion est avant tout un "rite de passage".

"Comme pour d'autres mythes, il y a une désillusion douloureuse. Certains gardent un souvenir amer pendant longtemps. Dans toute société, il y a des rites de passage pour les enfants. Une fois qu'ils sont franchis, ils permettent une reconnaissance sociale. Il y a un deuil à faire, d'un monde magique, et en même temps, il franchit une étape de son existence."

Mensonge contre mythe collectif

En trente-trois ans de carrière, Agnès Pargade indique pourtant n'avoir jamais vu un enfant reprocher à ses parents de lui avoir menti au sujet du Père Noël. Selon cette pédopsychiatre, il est même impropre de parler de mensonge.

"C'est un mythe traditionnel et collectif. Raconter aux enfants qu'ils naissent dans les choux ou sont apportés par une cigogne, ça s'est un mensonge qu'il ne faut pas leur raconter. Mais dans la vie, il faut parfois déformer la réalité avec les plus petits. Chaque famille a ses traditions et ses habitudes à Noël, cela construit des souvenirs à l'enfant."

Dominique Tourrès-Gobert, psychiatre et psychanalyste, auteure de Il était une fois le bon dieu, le Père Noël et les fées, considère également qu'un mensonge n'est destructeur "que lorsqu'il cache quelque chose dont on a honte, dont on se sent coupable, dont on ne veut pas parler", analysait-elle pour RMC. Rien à voir avec le Père Noël, donc.

Il participe "à la construction de l'enfant"

Tous s'accordent à dénoncer la multiplication des Père Noël dans les galeries marchandes, comme Brigitte Virey, vice-présidente du Syndicat national des pédiatres français, qui reconnaît pour BFMTV.com que la fête de Noël s'est "dévoyée" et que "l'aspect commercial a pris le pas". Mais elle assure que la féerie de Noël contribue au développement des plus jeunes.

"Un peu d'imaginaire ne peut pas faire de mal. Comme tous les contes, la mythologie de Noël participe à la construction de l'enfant. Ils s'approprient ces histoires."

Et selon elle, la révélation de la non-existence du Père Noël lorsque l'enfant grandit n'est pas forcément synonyme de tragédie. "Tout dépend du contexte et de l'histoire familiale mais il y a tout de même beaucoup plus traumatisant que ça", ajoute cette pédiatre. Agnès Pargade est du même avis. "C'est un mythe qui s'effondre, cela fait partie des déceptions auxquels l'enfant sera confronté. Mais pas un traumatisme."

Quoi qu'il en soit, Père Noël ou pas, encore faudra-t-il avoir été sage pour espérer un cadeau au pied du sapin.

Céline Hussonnois-Alaya