Hauts-de-Seine: la galère des jeunes enseignants sans affectation

Plusieurs jeunes professeurs des écoles attendent leur appel dans une école de rattachement, où ils peuvent aider mais n'enseignent à aucune classe. (Photo d'illustration) - Pascal Pavani - AFP
Ils sont enseignants, ils sont diplômés, ils sont titulaires, mais… n'ont pas encore de classe. Quelques dizaines de jeunes professeurs des écoles des Hauts-de-Seine sont dans l'attente d'une affectation depuis plusieurs semaines alors que, dénoncent-ils, des agents contractuels obtiennent des postes avant eux.
"Je suis dans une école de rattachement où je suis censée attendre qu'on me dise 'Il y a un poste vacant dans telle école, vous pouvez y aller'", explique Gloria*, 27 ans, à BFMTV.com. Les journées sont longues: "Je suis en attente d'affectation. Quand la directrice a besoin d'aide, je suis là, je fais des photocopies pour les collègues, mais en soit, je suis là, je ne fais rien."
Ce n'est que sa deuxième année comme titulaire, et déjà les galères commencent.
"Les 'première année' sont en général assez protégés. On a souvent des postes plutôt agréables, ils nous chouchoutent un peu. J'ai eu un poste très rapidement à l'année sur une classe, et n'avais pas eu ce souci", souligne la jeune femme. Cette "protection" est d'ailleurs une volonté de la direction académique, confirme à BFMTV.com David Planche, secrétaire départemental du syndicat SE-UNSA 92.
Sauf qu'à partir de la deuxième année, les affectations dépendent du "barème": chaque année, les enseignants accumulent des points d'ancienneté, mais aussi en fonction du type de classes qu'ils ont à gérer. Le système d'affectation prend ce barème dans l'ordre décroissant et ce sont donc les plus jeunes, en deuxième année de titularisation, qui passent en dernier.
"Pas loin de 100 enseignants" sans poste à la rentrée
Après le deuxième mouvement d'affectation, fin août, "pas loin de 100 enseignants" se sont retrouvés sans affectation réelle à la rentrée, estime Jean Grimal, responsable 1er degré de la CGT Educ'action des Hauts-de-Seine.
"On a reçu un courrier cet été nous disant 'Ecoutez, vous n'avez pas d'école, on vous met dans une école où vous allez attendre, et si au 1er septembre vous n'avez toujours rien, eh bien vous allez attendre jusqu'à ce qu'on vous appelle'", raconte Gloria.
"Ce qui est très compliqué pour les enseignants dans ces cas-là, c'est qu'ils n'ont aucune information", reconnaît Elisa Raducanu, co-secrétaire départementale du syndicat enseignant SNUipp-FSU 92.
"Ils sont mis sur une école de rattachement mais ils ne savent pas trop quoi faire, ils se sentent inutiles. Parfois même leur école de rattachement est très loin de chez eux, donc ils se retrouvent à faire trois heures de transport par jour pour rien", regrette-t-elle. Leur ancienneté court, ils sont payés car ils ont une affectation "factice", mais n'ont pas de classe.
Une situation qui est loin d'être inédite, assure-t-on du côté de l'académie. "On ne pourrait pas organiser les services des enseignants si on n'avait pas des enseignants en surnombre à la rentrée de septembre", assure à BFMTV.com Dominique Fis, directrice académique des services départementaux de l'Education nationale (DASDEN) des Hauts-de-Seine.
En raison des congés parentaux, démissions et autres pertes d'effectifs, "lorsqu'on a rouvert (la direction académique) fin août, on a perdu à peu près 100 personnes dans l'été", fait valoir Dominique Fis, qui assure avoir "besoin de ce vivier de personnes non affectées pour compenser".
Un phénomène normal selon l'académie, mais qui s'amplifie d'après les syndicats
Selon elle, la durée de l'attente n'a rien d'anormal, même si le SE-UNSA indique que le phénomène "s'est vraiment amplifié". "En général, ce n'est pas aussi important et ça ne dure pas aussi longtemps", assure David Planche.
Un constat partagé par le SNUipp, un autre syndicat enseignant, qui rappelle par ailleurs qu'il y a eu "de gros dysfonctionnements" administratifs lors des opérations d'affectation. La CGT Educ'action constate de son côté que la situation n'est pas inconnue, que c'est parfois allé "jusqu'à la Toussaint", mais que certaines années les enseignants avaient été affectés beaucoup plus rapidement.
Il ne reste plus qu'aux quelques dizaines de professeurs des écoles encore en attente - moins de 40 selon l'académie, entre 15 et 20 pour la CGT - à prendre leur mal en patience. D'autres, toutefois, n'ont pas eu à attendre autant, et ce sans diplôme. Ce sont les quelque 200 contractuels recrutés par l'Education nationale en prévision du manque d'effectifs, diplômés d'un bac+3, voire d'un bac+2, qui n'ont pas passé de concours pour enseigner et ne sont donc pas fonctionnaires.
Des contractuels affectés à des postes avant les titulaires
"L'administration sait globalement qu'on est déficitaires, mais on ne l'est pas forcément là en septembre", explique à BFMTV.com Elisa Raducanu, co-secrétaire départementale du syndicat enseignant SNUipp-FSU 92.
"Du coup, ils recrutent des contractuels, et comme ceux-ci ont des contrats qui sont différents de ce qu'on demande aux titulaires, ils sont 'obligés' de les recruter avant puisque pour recruter un contractuel, ils doivent faire figurer une affectation précise dans le contrat, c'est la loi", développe-t-elle.
En outre, l'académie reconnaît une démarche de fidélisation de ces contractuels. "Le contractuel, si on ne l'emploie pas, il n'a pas de salaire. Un enseignant titulaire, qui est rattaché à une école, il a un salaire. Si on doit embaucher des contractuels, c'est important qu'on les embauche dès le 1er septembre", explique la directrice académique des Hauts-de-Seine.
"Ils les affectent sur des postes que les enseignants voudraient et ne peuvent pas avoir: des postes plein, les postes les moins inconfortables…", assure Elisa Raducanu.
"Au départ, quand on n'en avait pas beaucoup, on était attentifs pour les garder à ne pas les mettre dans des situations trop compliquées", concède Dominique Fis, même si elle assure que "c'est un peu moins vrai maintenant".
Si la CGT Educ'action martèle "ne pas vouloir créer d'opposition entre les personnels", "on est pour le respect des règles", rappelle le syndicat. "C'est-à-dire que tous les titulaires soient affectés d'abord."
"On n'a absolument aucune information"
L'académie prévient que la situation peut "durer encore quelques semaines". "Du surnombre dans un département, on en a à peu près jusqu'au mois de décembre", explique la direction académique, qui remet ces dizaines de professeurs en perspective avec les 9.000 du département.
En attendant, les jeunes enseignants déplorent le manque d'informations. "Ça fait trois semaines qu'on attend, on n'a absolument aucune information de la part de notre hiérarchie, on essaie de les appeler et ils sont injoignables. Le seul courrier qu'on a reçu, c'était cet été pour nous dire d'attendre dans l'école", critique Gloria. La DASEN reconnaît pour sa part que "ce n'est peut-être pas suffisant".
Dans ce contexte, l'annonce de la création de 1900 postes dans le primaire par Jean-Michel Blanquer est accueillie de manière mitigée par les syndicats. "Il y a un effet pervers. Quand des postes sont créés, c'est une bonne chose dans l'absolu", concède Elisa Raducanu, "sauf que si derrière ils ne travaillent pas sur l'attractivité du métier, l'incitation des étudiants à venir sur ces métiers-là, le problème s'aggrave".
*Le prénom a été modifié.