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Société

15 universités bloquées? "C'est une grosse exagération"

Le site de Tolbiac (Paris-1), le 11 avril 2018.

Le site de Tolbiac (Paris-1), le 11 avril 2018. - BERTRAND GUAY / AFP

Alors qu’Emmanuel Macron a qualifié jeudi d'"agitateurs professionnels" les meneurs des mouvements de blocage des universités, la bataille des chiffres de la mobilisation étudiante prend un tour politique.

"Il y a très peu d'universités qui sont occupées. Qu'il y ait du débat, c'est une très bonne chose, je constate quand même que dans beaucoup d'universités occupées, ce ne sont pas des étudiants mais ce sont des agitateurs professionnels". Les propos d’Emmanuel Macron au journal de 13h de TF1, jeudi, n’ont pas manqué de faire bondir les étudiants mobilisés depuis plusieurs semaines dans les universités françaises. Pour eux, le mouvement qui réclame le retrait de la loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) est beaucoup plus large que ce que veut croire le président de la République.

"C’est plus facile de minorer les chiffres que d’écouter les revendications des étudiants", estime Pauline Raufaste, vice-présidente de l'UNEF. Le syndicat étudiant organise un point quotidien avec ses sections locales partout en France pour mesurer la contestation. Bilan pour le jeudi 12 avril: "On a 16 universités qui sont bloquées. Quant aux chiffres de mobilisation dans les AG, on n’avait pas vu ça depuis 2006 et le mouvement contre le CPE".

"Quinze universités bloquées, c’est le minimum", renchérit Florent Chapelle, porte-parole du syndicat Solidaires Etudiant.e.s. "Le 10 avril, une journée de mobilisation nationale, il y avait 30 universités soit bloquées, soit très largement occupées. Si je compte le total des facs mobilisées, où il y a des AG qui se tiennent, on dépasse les 50 universités (sur 67 en France, NDLR)".

"Des tentatives d’une petite poignée d’étudiants de bloquer"

Solidaires Etudiant.e.s a réalisé une carte interactive des lieux occupés lors de la journée de mobilisation nationale de mardi, avec un code à quatre couleurs pour désigner la nature de la mobilisation: "le campus est bloqué et occupé de façon reconductible ou illimitée", "le campus est bloqué ponctuellement les jours de mobilisation", "un lieu est occupé par les étudiant.e.s mobilisé.e.s", et enfin "les étudiants s’organisent en assemblée générale". S’il reconnaît que les chiffres peuvent être "mouvants", Florent Chapelle voit quand même en eux l’expression "d’un mouvement national d’ampleur". 

Mais dire qu’il y a une quinzaine d’universités bloquées, "c’est une grosse exagération", lui répond Jimmy Losfeld, président de la FAGE. Pour ce syndicat soutenant la réforme du gouvernement, le mouvement étudiant est d’une tout autre ampleur. 

"Des universités qui sont complètement bloquées, en réalité il y en a quatre: Montpellier-3, Toulouse-2 Le Mirail, tout le campus de Tolbiac Paris-1, et Paris-8. Dans certaines universités, principalement en Île-de-France, il y a des campus, souvent de lettres et de sciences humaines, qui sont bloqués. Ensuite ce sont des blocages assez éphémères, comme à Bordeaux, Limoges, Poitiers, Metz, Strasbourg… Là ce sont des tentatives d’une petite poignée d’étudiants de bloquer, et ils se font débloquer parce que les étudiants en ont marre".

"Ça prend un tour plus politique"

Pour Gilles Roussel, président de la Conférence des présidents d’université (CPU), "il y a des endroits effectivement occupés, il ne faut pas non plus minimiser les choses. Mais ça reste à ce stade assez limité". Lui aussi avance le chiffre de quatre universités complètement bloquées. Ensuite, "on a 12 ou 13 universités sur lesquelles il y a des sites qui sont bloqués: ça va de Tolbiac jusqu’à un amphi à Brest, où il n’y a pas vraiment d’activité forte. C’est compliqué, le monde universitaire. Savoir ce que c’est un site, une fac, une université… Dire qu’il y en a 15, ce n’est pas vrai, mais c’est plus une façon simple de résumer la chose qu’une volonté de désinformation".

Pour Gilles Roussel et ses collègues, "on est dans une phase bizarre où des choses se passent. Mais ce qui est sûr, c’est que ça se radicalise. Il y a des volontés de violence qui sont un peu inquiétantes: dégradations de biens matériels, agressions de personnes…".

Il estime aussi que les revendications des étudiants mobilisés sont désormais bien éloignées de la loi ORE. "Ça prend un tour plus politique, avec les Insoumis et des gens comme ça qui se mettent à essayer d’être moteur dans l’affaire".

"Compliqué d’exprimer l’avis de la majorité des étudiants"

C’est aussi l’avis de Jimmy Losfeld, pour qui "il y a une appropriation de l’expression démocratique étudiante par une minorité, parce qu’elle parle plus fort. La sociologie des étudiants aujourd’hui, ce n’est pas celle de la Commune Libre de Tolbiac. On n’est pas dans un contexte de nouveau Mai 68, c’est beaucoup plus marginal". Selon lui, cette "minorité" serait aussi bien aidée par des renforts venus d’en dehors du mouvement étudiant, comme à Nantes ou à Tolbiac: "C’est d’ailleurs pour cela qu’ils refusent de faire entrer les caméras dans les amphis. Et quand ils le font, ils leur demandent de flouter les visages".

A la FAGE, on considère que "les étudiants, dans leur grande majorité, aspirent à étudier et à ne pas se faire bloquer l’accès à leur cours". 

"C’est quand même compliqué d’exprimer l’avis de la majorité des étudiants", lui répond Florent Chapelle pour Solidaire Etudiante.s. "Il n’y a que celles et ceux qui s’expriment dont on sait ce qu’ils pensent. En dehors des cas où on bloque l’université au moins pour une journée, aucun espace démocratique ne permet de connaître l’avis de la majorité des étudiants. J’en discutais avec un militant En Marche!, et on était d’accord là-dessus".

Comme quoi, tout arrive.

Antoine Maes