TOUT COMPRENDRE - Coronavirus: à quoi vont servir les campagnes de dépistage massif de métropoles?

Une personne dépistée au coronavirus à Manchester, au Royaume-Uni, le 3 décembre 2020. - OLI SCARFF / AFP
Le Havre et Charleville-Mézières, avant Lille et Saint-Etienne. Ce lundi, et sur la base du volontariat, les campagnes de dépistage de masse au Covid-19 ont démarré dans ces deux villes où la circulation du coronavirus reste forte.
Cela fait suite aux annonces de Jean Castex qui, début décembre sur BFMTV, a annoncé que des campagnes de dépistage massif allaient se tenir dans des métropoles de trois régions de France, à savoir les Hauts-de-France, la Normandie et l’Auvergne-Rhône-Alpes, "peut-être même avant" les fêtes de fin d'année. Mais à quoi sert une campagne de "mass testing"? Est-ce une bonne idée de la réaliser maintenant? BFMTV.com vous aide à y voir plus clair.
· Pourquoi faire une campagne de dépistage massif?
Le gouvernement espère mieux comprendre comment le coronavirus se transmet dans la population.
"On va essayer sur une aire urbaine de tester massivement, pour mieux connaître cette maladie, quels sont les quartiers (...), les populations, (...) les lieux de vie les plus concernés", a expliqué le Premier ministre sur BFMTV.
Tester rapidement et massivement sur un territoire donné permet de manquer beaucoup moins de cas positifs qu'à l'heure actuelle. "Le virus ne circule pas qu'à travers les personnes malades mais à travers des gens qui ne se savent pas contagieux. Il faut donc les trouver. Cela ne peut se faire qu'en testant tout le monde", explique notamment l’épidémiologiste Catherine Hill à l'AFP.
Dans une note publiée le 17 novembre, le Conseil scientifique indiquait que le dépistage de masse pouvait être utilisé dans deux cas: "pour des opérations d’élimination de la circulation du virus quand celle-ci est très basse" ou "pour diminuer la circulation du virus et en reprendre le contrôle."
· Comment la mettre en place ?
C’est là où les choses se compliquent. Un dépistage massif représente un défi logistique, confirme au micro de BFM Lille Philippe Amouyel, épidémiologiste au CHU de Lille: "C'est une manœuvre qui va être extrêmement lourde logistiquement."
Les scientifiques et soignants des trois villes concernés ont plusieurs options. Ils ont la possibilité d’ériger des centres de test provisoires sur la voie publique, à condition qu’ils soient suffisamment nombreux dans la ville pour ne pas créer de longues files d’attente - et donc de potentiels clusters.
La systématisation des tests à l’école, en entreprises ou dans les transports en commun est une seconde option, qui demande, elle aussi, beaucoup de moyens. Le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a ainsi promis mi-novembre une campagne massive pour ses 8 millions d'habitants la semaine avant Noël. Celle-ci devrait être déployée dans "les lycées, les entreprises, ainsi que dans les territoires plus ruraux" grâce à des cars, avait-il fait savoir sur notre antenne.
"Ensuite on fera probablement des sondages répétés tous les quinze jours de personnes représentatives de tous les Lillois, comme pour des sondages d’opinion, avec des tests salivaires à envoyer aux gens, ce qui nous permettra de savoir si cela a été utile, si les gens se sont bien isolés", poursuit auprès de BFM Lille Philippe Froguel, professeur au CHU lillois.
· Est-ce que cette technique a été efficace dans d’autres pays?
Oui… Et non. Des campagnes de dépistage massif ont été effectuées en Chine, mais il est compliqué d’attester de leurs résultats avec certitude. Plus proche de nous, l'Autriche va mener une campagne de dépistage volontaire avant les fêtes de fin d'année. Les enseignants et les puéricultrices seront les premiers à se voir proposer d'effectuer un test les 5 et 6 décembre prochains dans une centaine de centres dédiés. Ils seront suivis par les agents de police, puis par les résidents des bassins de population fortement touchés par le coronavirus.
L'Italie en a aussi lancé une fin novembre dans le Sud-Tyrol, à la frontière avec l'Autriche. Il est donc trop tôt pour juger de leur efficacité respective. Au Royaume-Uni, la ville de Liverpool a lancé mi-novembre une campagne pour tester ses 500.000 habitants. 2000 militaires ont été dépêchés afin de réaliser 100.000 tests par semaine. Mais là encore, les scientifiques n’ont pas le recul nécessaire.
Reste l’exemple de la Slovaquie, qui a lancé un testage massif à l’échelle du pays fin octobre. Quelque 45.000 professionnels de la santé, de l'armée et de la police ont été déployés pour tester 5,4 millions d'habitants - soit plus de dix fois moins que la France.
"Nous avons littéralement trouvé une arme atomique contre le Covid-19", s’est félicité début novembre le Premier ministre Igor Matovic.
Mais les observateurs sont partagés. Si certains épidémiologistes attestent d’une réussite, d’autres, comme Antoine Flahault, directeur de l’Institut de Santé Globale à l’Université de Genève ne sont pas convaincus:
"Les chiffres de la Slovaquie indiquent que le pic était atteint avant le début du dépistage massif. Par ailleurs, le pays connaît davantage un plateau, qu’une rapide décroissance de son nombre de cas", souligne-t-il auprès de BFMTV.com.
· Pourquoi certains scientifiques doutent de l'intérêt de l'opération?
Justement parce que rien ne prouve avec certitude qu’elle fonctionne. Toujours dans son avis du 17 novembre, le Conseil scientifique déclare "qu’en l’état, le bénéfice d’une opération d’une telle envergure n’est pas encore établi", ajoutant:
"Les résultats préliminaires de modélisation poussent à la prudence, soulignant les nombreuses conditions qui doivent être remplies pour qu’une stratégie de ce type puisse réussir."
L’idée d’avoir, enfin, le nombre de cas positifs à un instant T n’est pas si certaine: "Certains vont passer entre les mailles du filet. D'autres seront de faux négatifs. D’autres encore seront en période d'incubation", liste Antoine Flahault. Ce dernier s’interroge aussi sur le nombre de volontaires pour se faire tester, puis pour respecter réellement l’isolement. De même, les trois métropoles volontaires pour le “mass testing" ne sont pas des îles, elles interagissent constamment avec le reste du territoire.
Sans nier l’intérêt d’une expérimentation locale, l’épidémiologiste s’interroge sur le timing pour lancer une telle campagne, si elle ne va pas "à contretemps" du virus. Selon lui, "toute l’énergie est à mettre dans le vaccin, qui est la principale urgence."