Tabac: les terrasses épargnées par l'interdiction de fumer dans les lieux publics, des associations appellent à "aller plus loin"

Un client fume une cigarette à une terrasse d'un café chauffée par des braseros, le 30 décembre 2007 dans le quartier des Halles à Paris. (ILLUSTRATION) - PATRICK HERTZOG
Les terrasses épargnées. Le décret instaurant l'interdiction de fumer dans les parcs et jardins publics, sur les plages, sous les abribus, à proximité des écoles, des stades, des piscines et des bibliothèques, à partir du dimanche 29 juin, ne concerne pas les terrasses ouvertes des cafés et des restaurants.
En novembre 2023, le ministre de la Santé d'alors, Aurélien Rousseau, disait vouloir "relever le défi d'une génération débarrassée du tabac dès 2032", alors qu'il présentait le Programme national de lutte contre le tabac (PNLT) 2023-2027.
Il était alors question d'interdire la cigarette dans plusieurs espaces publics, comme les plages, les parcs publics, les forêts et abords extérieurs de certains lieux publics à usage collectif. Mais déjà, les terrasses n'étaient pas mentionnées.
Ne pas "emmerder les Français"
En février dernier, le ministre délégué à la Santé et à l'Accès aux soins Yannick Neuder a assuré n'être "ni pour, ni contre" l'interdiction du tabac sur les terrasses, sur la station Sud Radio.
"Ça fait partie des discussions. Il faut des mesures qui soient acceptables, compatibles avec tout le monde", a-t-il ajouté à ce sujet, avant d'affirmer: "Arrêtons d'emmerder les Français", défendant ainsi les fumeurs.
Ces propos ont été rapidement condamnés par le Comité national contre le tabagisme (CNCT), estimant qu'ils étaient "indignes d'un cardiologue, et, a fortiori, d'un ministre de la Santé", alors que la Commission européenne a recommandé fin 2024 aux États-membres d'étendre l'interdiction de fumer notamment aux terrasses des cafés.
"Se concentrer sur les lieux avec beaucoup d'enfants"
Quelques mois plus tard, la ministre de la Santé actuelle Catherine Vautrin annonce fin mai à Ouest France l'extension de l'interdiction du tabac au 1er juillet prochain, finalement entrée en vigueur dès le 29 juin. Elle confirme une nouvelle fois que cette interdiction "ne touche (pas) les terrasses de café".
"On se concentre sur les lieux où il y a beaucoup d’enfants", justifie-t-elle.
"On n’est pas là pour donner des leçons de morale, mais pour faire de la prévention", ajoute la ministre, reprenant l'argumentaire de Yannick Neuder.
Un appel des associations à "aller plus loin"
Ce choix d'épargner les terrasses est cependant regretté par plusieurs associations de lutte contre le tabac. L'interdiction permettant de "dénormaliser" l'usage du tabac dans l’espace public "va dans le bon sens, mais reste insuffisante", déclare à l'Agence France-presse (AFP) Yves Martinet, le président du Comité National Contre le Tabagisme (CNCT).
"La ministre s'appuie sur la protection des enfants" mais ces derniers "vont aussi sur les terrasses", souligne ce pneumologue.
Un discours que tenait déjà le président d'Alliance contre le tabac, Loïc Josseran, fin mai sur RMC, après les annonces faites par Catherine Vautrin. Le législateur aurait pu "aller un peu plus loin, notamment en allant sur les terrasses" de café, qui sont "de véritables aquariums à fumée et à fumeurs", soutenait-il.
"Nous sommes là face à un réel lobby des industriels du tabac qui passe par l'entremise des cafetiers et restaurateurs", affirmait-il, en relevant que "bon nombre de ces restaurateurs, bars, sont aussi des buralistes" et que le gouvernement "n'a probablement pas voulu engager un bras de fer" avec cette profession.
D'autant que les terrasses sont considérées comme un lieu où le tabagisme passif est particulièrement important, par Santé publique France. "Le tabagisme passif, s’il est plus toxique dans un environnement fermé, est également particulièrement toxique dans un environnement ouvert, en particulier dans les lieux couverts (terrasse, auvents, etc.)", rappelle ainsi l'organisme dans une brochure dédiée au sujet.
Les Français largement favorables à cette interdiction
L'association Demain non fumeurs regrette également que l'interdiction de fumer ne concerne pas les terrasses, dénonçant là aussi une "pression des syndicats de la restauration".
"De nombreux professionnels redoutent qu’une interdiction du tabac en terrasse fasse fuir la clientèle", déplore l'organisation, assurant qu'il ne s'agit que d'une idée reçue.
De fait, le dernier sondage annuel "Lieux sans tabac", mené par OpinionWay pour l'association Demain non fumeurs, rapporte que 84% des sondés "souhaitent ne plus être exposés à la fumée de tabac dans des lieux comme les terrasses de cafés et restaurants", évoquant une "nuisance" ou un "inconfort".
Les terrasses se placent ainsi en tête des lieux les plus souvent cités où les Français ne souhaitent plus être exposés à la fumée de tabac, devant les files d'attente, les plages ou les espaces de loisirs, alors que les lieux où le tabac est autorisé ne cessent de se restreindre depuis 50 ans et que l'interdiction est en vigueur dans certains pays étrangers comme la Suède depuis des années.
L'hôtellerie-restauration opposée à l'interdiction
Pour Franck Delvau, président de l'Umih (Union des métiers et des industries de l'hôtellerie) d'Île-de-France, interdire le tabac en terrasse ne serait pas la solution. Selon lui, cela ne ferait que déplacer le problème car "les gens en terrasse iraient fumer à côté des établissements".
"Fumeurs et non-fumeurs peuvent cohabiter" en terrasse, les "derniers lieux de convivialité et de liberté", soutient également Franck Trouet, délégué général du Groupement des Hôtelleries et Restaurations de France (GHR).
En outre, le CNCT regrette l'absence dans le texte des cigarettes électroniques, dont les arômes servent à "hameçonner les jeunes", pourtant visés par le décret. Or, "pour qu'une mesure soit efficace, il faut qu'elle soit claire: pas de consommation de produits contenant du tabac ou de la nicotine en public", martèle Yves Martinet.
En France, le tabagisme fait 75.000 morts par an, tandis que l'exposition passive à la fumée du tabac fait 3.000 à 5.000 morts chaque année, selon les chiffres officiels. Moins d'un quart des adultes de 18 à 75 ans déclaraient fumer quotidiennement en 2023, observe l'OFDT.