"Qu'est-ce que je vais faire?": les médecins qui ont refusé le vaccin s'interrogent sur leur avenir

À partir du 15 octobre, les soignants devront justifier d'une vaccination complète contre le Covid-19 s'ils souhaitent continuer à exercer. - PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV
Au Vigan (Gard), le cabinet du docteur D. reste fermé depuis la mi-septembre. Non vaccinée contre le Covid, cette médecin généraliste homéopathe ne peut, pour l'heure, plus exercer. Et à 42 ans, elle se demande si elle ne va pas complètement changer d'activité professionnelle.
"Je ne vois pas comment me recycler dans le soin, peut-être par le biais d'une association avec des interventions dans des écoles. Sinon j'aime beaucoup la boulangerie", envisage-t-elle sérieusement pour BFMTV.com. "J'y ai travaillé adolescente et pendant mes études. C'est une piste."
Cette médecin se laisse le temps de la réflexion et se donne jusqu'à mi-novembre avant de peut-être définitivement raccrocher son stéthoscope. Mais elle dit vivre très mal cette interdiction d'exercer et en parle avec beaucoup d'émotion.
"C'est trop difficile", poursuit-elle au bord des larmes. "Si on exerce, on risque d'être jugé au pénal, comme si on était des criminels. Émotionnellement et psychologiquement, je n'y arrive plus."
2,5% des médecins libéraux
Depuis le 15 septembre, les professionnels de santé sont autorisés à exercer leur activité à condition de justifier d'au moins une dose et de présenter un test négatif. À partir ce vendredi 15 octobre, il faudra justifier d'une vaccination complète.
Les personnels soignants qui, comme le docteur D., ne sont pas vaccinés contre le Covid-19 sont suspendus et n'ont plus le droit de recevoir leurs patients. Ils ne sont qu'une minorité: au 13 septembre, sur les médecins qui exercent en libéral, l'Assurance-Maladie compatabilisait 1645 généralistes et 1327 spécialistes non-vaccinés. Soit 2,5% d'entre eux.
Dans le Lot-et-Garonne par exemple, sur 750 médecins libéraux en activité, 12 - huit généralistes et quatre spécialistes - ne répondent pas à l'obligation vaccinale. Ce qui représente un peu moins de 2% des médecins du département.
"Il n'y a personne pour nous remplacer"
Il n'empêche, le Docteur D. dit continuer de recevoir des appels "affolés" de certains parmi son millier de patients qu'elle ne sait à qui adresser - même si plusieurs confrères et consœurs exercent toujours au Vigan. "Certains ne prennent plus de nouveaux patients. Je vais devoir les envoyer aux urgences pour un renouvellement d'ordonnance?" se demande-t-elle. Même problème pour ses jours de garde, week-ends ou jours feriés, qu'elle devait assurer.
"On est dans une région où les médecins sont sur tous les fronts: on fait de la gynécologie, des sutures, de la pédiatrie, du suivi cancéro. C'est déjà pas facile au quotidien. Il n'y a personne pour nous remplacer."
Elle dit s'inquiéter particulièrement pour certains de ses patients. Elle évoque le cas de l'une d'entre elles, en pleine décompensation. "Je ne peux pas la faire hospitaliser en psychiatrie, son psychiatre est injoignable et il y a un mois d'attente pour obtenir un rendez-vous à la maison de santé."
Si elle a fait vacciner ses patients "fragiles" et "tous ceux qui le souhaitaient", précise-t-elle, elle refuse cependant de recevoir ses deux injections, considérant que le vaccin n'est "pas au point".
Un comportement incompréhensible pour Jérôme Marty, président du syndicat de l'Union française pour une médecine libre, qui juge sévèrement les médecins qui refusent de se faire vacciner.
"Hormis des médecins à exercice particulier, comme des homéopathes ou des acunpuncteurs, et des psychismes particuliers, je ne vois pas comment un médecin, qui en plus exercerait dans un désert médical, pourrait prendre le risque d'abandonner ses patients", s'indigne-t-il pour BFMTV.com.
Selon lui, il y a bien plus de soignants qui "se bousillent la santé" que de professionnels qui quittent le navire faute d'avoir été vaccinés. Mais il reconnaît tout de même que dans certains établissements de santé, certaines difficultés peuvent se faire ressentir - quelque 9% des soignants, dont 6% des médecins, qui y exerçaient ne sont pas vaccinés et n'ont donc plus le droit de travailler. "On travaille à flux tendu sachant qu'avant cela, 30% des postes de praticiens hospitaliers étaient déjà vacants."
Pour Jérôme Marty, ces soignants qui refusent de se faire vacciner n'ont plus leur place dans le secteur de la santé. "Ils devraient faire autre chose", assure-t-il.
"Je ne vois pas comment un médecin pourrait être contre le vaccin. Les seules explications sont du domaine de l'anti-science. Et cela pose vraiment problème: ces personnes ne s'informent pas, ne se forment pas. Ce sont des bêtises qui ne sont pas du domaine de la science."
"Je pense d'abord à ma santé"
Le Docteur D. fait partie d'un collectif de 120 soignants - ostéopathe, infirmier, aide-soignant, orthophoniste, kinésithérapeute... - de plusieurs communes du Gard et de l'Hérault opposés à l'obligation vaccinale. Le collectif compte également dans ses rangs le Docteur M.*, âgée de 33 ans. Cette généraliste qui n'est installée que depuis deux ans a du mal à imaginer son avenir sans la médecine.
"C'est quand même ma vocation", assure-t-elle à BFMTV.com.
Actuellement, elle "réfléchit" à toutes les possibilités: d'un hypothétique assouplissement de l'obligation vaccinale, à une reconversion vers la phytothérapie et la médecine ayurvédique - pour lesquelles elle s'est formée - en passant par un compromis avec l'Agence régionale de Santé - notamment pour les zones rurales - qu'elle espère. Mais à l'heure actuelle, la réglementation interdit de faire remplacer les médecins suspendus.
"Je suis en ZRR (zone de revitalisation rurale, NDLR) et on manque cruellement de soignants. On cherchait déjà un médecin supplémentaire avant l'obligation vaccinale. Deux vont bientôt partir à la retraite. Le territoire est en danger."
Si cela commence à lui "peser" de savoir certains de ses 600 patients, notamment les enfants et les personnes âgées, sans médecin - "je sais que ce n'est pas facile d'en trouver un" - elle ne ressent pas non plus de sentiment de culpabilité.
"Je pense d'abord à ma santé", explique le Docteur M. "Pour moi, la balance bénéfice-risque ne penche pas du côté de la vaccination. Mais je n'ai pas l'impression de mettre mes patients en danger." "En médecine libérale, avec l'application des gestes barrières, le risque de transmission est très faible", estime-t-elle, à l'opposé des recommandations du reste du corps médical.
Des sanctions face à un manquement "déontologique"?
Cette professionnelle n'exclut pas non plus de se faire éventuellement vacciner mais elle souhaite pouvoir choisir son vaccin et ne veut pas de ceux actuellement sur le marché. Avant de se décider, elle attend de savoir si des sanctions pourraient être prises après le 15 octobre - date à partir de laquelle les médecins devront donc justifier d'une vaccination complète, et non pas d'une seule injection minimum - par l'Ordre des médecins.
Ce qui n'est pas impossible. "Se faire vacciner quand on est médecin, c'est une obligation déontologique", estime pour BFMTV.com Jean-Marcel Mourgues, vice-président du conseil national de l'Ordre des médecins. Il rappelle que la mission des professionnels de santé, et des médecins en particulier, est de "mettre tout en œuvre pour protéger leurs patients", de ne pas "désequilibrer l'offre de soin" et de veiller à ce que les patients "ne souffrent pas d'une rupture de la continuité des soins".
"Une sanction serait dans la droite logique mais c'est aux chambres disciplinaires, des instances indépendantes du conseil national de l'Ordre, d'en juger".
Jusqu'à la radiation? Pour l'instant, la méconnaissance de l'interdiction d'exercer en cas de non-respect de l'obligation vaccinale est sanctionnée d'une amende de 135 euros. La peine peut aller jusqu'à six mois d'emprisonnement et 3750 euros d'amende "si ces violations sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours", rappelle le ministère.
"Qu'est-ce que je vais faire? Je n'en sais rien"
Véronique Rogez, 63 ans, médecin généraliste à Noyon, dans l'Oise, n'a aucune idée de quoi son avenir professionnel sera fait. Mais pour cette ancienne candidate aux élections départementales et régionales sous l'étiquette Debout la France, déléguée nationale à la santé dans le parti de Nicolas Dupont-Aignan, pas question de se faire vacciner.
"Qu'est-ce que je vais faire? Je n'en sais rien", confie-t-elle à BFMTV.com. "Pour l'instant, je suis en vacances chez ma fille, à Marseille. S'il le faut vraiment, je prendrai ma retraite avec quatre ans d'avance."
Si elle a dressé des ordonnances pour faire vacciner certains de ses 1500 patients, elle a aussi souvent manifesté contre le pass sanitaire. Aujourd'hui, Véronique Rogez dénonce "le mépris" et "les menaces" de sanctions.
"On a fait face au Covid pendant des mois, sans masques, on ne nous a jamais demandé comment on allait et on nous vire du jour au lendemain. On nous traite comme si on était des êtres dangereux et irresponsables. On nous interdit d'exercer alors que nous n'avons rien fait de mal."
Jean-Marcel Mourgues, du conseil national de l'Ordre des médecins, se montre cependant optimiste. Il assure que depuis le 15 septembre, certains médecins qui étaient pourtant réfractaires ont accepté de se faire vacciner. Il attend le 15 octobre et les semaines suivantes pour jauger de "la réalité de la situation".
* Ces médecins ont souhaité n'être présentés que par l'initiale de leur nom de famille.