Pourquoi les tisanes de fenouil sont désormais déconseillées aux femmes enceintes et allaitantes

Photo d'illustration. - Free Px
Un mythe qui s'effrite. C'est une sorte de recette de grand-mère: la tisane de fenouil est depuis longtemps conseillée aux femmes enceintes et allaitantes. Cette tisane, concoctée avec les graines de cette plante originaire du bassin méditérranéen, favoriserait la lactation. Elle est aussi parfois donnée aux nourrissons parce qu'elle faciliterait la digestion et soulagerait les coliques.
Sur internet, les sites vantant ses mérites sont légion. Cette plante médicinale est aussi traditionnellement utilisée pour soulager les toux, les douleurs menstruelles ou encore les troubles digestifs. Si peu de travaux scientifiques se sont emparés de ce sujet, deux études parues en 2020 dans l'International journal of pediatrics notent ces bienfaits.
"La tisane de fenouil a été largement recommandée et quasiment de manière systématique dans les maternités durant la période post-partum pour stimuler la lactation des mères allaitantes et pour soulager les troubles digestifs du nouveau-né", affirme Emanuela Gerhard, co-vice-présidente de la Fédération suisse des sages-femmes contactée par BFMTV.com - nos voisins helvètes s'étant emparés de la question avant la France.
"Même si ce n'était pas forcément systématique, c'était un conseil donné", abonde Eliette Bruneau, présidente de l'Association nationale des sages-femmes libérales en France.
Un composé du fenouil potentiellement cancérigène
Si ces deux sages-femmes emploient le passé dans leurs propos, c'est parce qu'un communiqué de l'Agence européenne des médicaments (EMA), dont la dernière publication date du 31 janvier 2024, est venue remettre en question la consommation de tisane de fenouil. Une consommation excessive pourrait en effet s'avérer dangereuse pour la santé.
Le Comité des médicaments à base de plantes (HMPC) de l'EMA souligne que "plusieurs études" menées sur des rats et des souris et des cellules hépatiques humaines in vitro, "ont montré les effets cancérigènes et génotoxiques de l'estragole", un composé organique aromatique que l'on retrouve dans le fenouil. La génotoxicité est la capacité à endommager l'ADN.
L'agence de santé est donc formelle: "Dans la population générale, l'exposition à l'estragole doit être maintenue à un niveau aussi bas que possible".
Elle recommande pour les adultes de ne pas dépasser "la valeur indicative de 0,05 milligramme d'estragol par personne par jour".
Mais elle averti spécifiquement, par mesure de précaution, les femmes enceintes et allaitantes qui peuvent être poussées à consommer des tisanes de fenouil. "La sécurité pendant la grossesse et l'allaitement n'a pas été établie [...] En l'absence de données suffisantes, l'utilisation pendant la grossesse et l'allaitement n'est pas recommandée", est-il écrit dans la note de l'EMA.
De même, sauf indication contraire, l'agence européenne déconseille sa consommation pour les enfants de moins de quatre ans.
"Pour les femmes enceintes, cela peut passer au niveau du foetus. Les enfants immatures quant à eux ont plus de difficulté à métaboliser certaines substances. L'EMA vise donc à protéger contre un risque de cancer", commente Sylvie Michel, professeure et membre de l’Académie nationale de Pharmacie, contactée par BFMTV.com.
Il faut bien comprendre que rien n'a été établi pour le moment et c'est bien en raison de cette méconnaissance que l'Agence européenne des médicaments invite à la prudence.
Une teneur en estragole difficile à mesurer
La difficulté réside dans la grande variabilité de la teneur en estragole dans les tisanes. "La teneur en estragole est variable d'une plante à l'autre. Dans la majorité des cas, on n'atteindra pas des doses dangereuses mais le souci, c'est qu'on ne le sait pas", souligne la pharmacognosiste. "On sait que le risque est associé à une forte teneur mais on ne connaît pas cette teneur".
Selon l'étude, les niveaux de concentration en estragole vont de 241 à 2.058 microgrammes par litre dans les thés en sachets. Sachant que la température de l'eau et la durée de l'infusion peuvent influer sur cette teneur et que le fait de presser le sachet à la fin du temps d'infusion peut l'augmenter.
Si en Suisse, les médias -dont la radio télévision RTS en premier lieu- se sont emparés de la question après une publication de la Fédération suisse des sage-femmes, les communications à ce sujet se font rares en France. D'après nos recherches, à ce stade, seules l'Association nationale des sages-femmes libérales et l'association Information pour l’allaitement semblent s'en être fait publiquement l'écho dans l'Hexagone.
Que ce soit le Collège national des sage-femmes de France, la Société française de gynécologie, le Collège national des gynécologues et obstétriciens, contactés par BFMTV.com, aucun n'avait d'élément à ce sujet. De même du côté des agences de santé. L'Agence européenne du médicament nous a invité à contacter "l'autorité compétente en France" soit l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, représentée au comité des médicaments issus des plantes qui a émis les avertissements en question.
Cette agence nous a assuré, quant à elle, qu'elle n'était pas compétente à ce sujet, les tisanes de fenouil relevant de "l'alimentaire". L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail n'a également pas donné suite, tout comme la direction générale de l'Alimentation. La Haute autorité de Santé s'est dit incompétente à ce sujet.
Si "les membres et les suppléants de l’HPMC de tous les États membres de l'UE ont le droit de communiquer au niveau national sur les avis adoptés par le comité", rien ne les oblige selon l'EMA.
"Il ne faut pas faire peur"
Les spécialistes qui se sont exprimés à ce sujet soulignent qu'il ne faut toutefois pas être alarmistes sur la consommation de tisane de fenouil. "Il ne faut pas faire peur à toutes ces femmes qui auraient consommé du fenouil, il faut avertir des risques mais sans faire peur", maintient Eliette Bruneau, présidente de l'association nationale des sages-femmes libérales en France. Les sages-femmes membres de cette association ont reçu l'information, le but étant de pouvoir "donner une information éclairée aux patientes".
Elle ajoute: "Des études ont été faites in vitro, il faudrait maintenant des études in vivo, il faudrait que cette alerte donne lieu à davantage d'études".
Alors qu'en Suisse, une parapharmacienne affirmait à la radio Rhône FM que "cette étude a engendré une certaine anxiété chez les personnes concernées par l'allaitement", aucun effet indésirable n'a été observé chez les générations de femmes qui ont bu du thé de fenouil.