"L'espérance de vie en bonne santé", c'est quoi?

Face à la proposition de l'allongement de la durée de cotisation, les syndicats brandissent l'argument de l'espérance de vie en bonne santé des Français, qui serait en baisse. La situation est plus compliquée qu'il n'y paraît.

Face au défi des retraites, l'exécutif prône l'allongement de la durée de cotisation. "La mesure la plus juste à condition qu'elle soit appliquée à tous", a estimé jeudi François Hollande.

Sauf que les syndicats ne l'entendent pas forcément de cette oreille. Et un argument revient régulièrement pour contrer le gouvernement: "l'espérance de vie en bonne santé", qui serait en baisse.

De quoi s'agit-il? Est-elle réellement en baisse, comme l'affirment certains? Pour en savoir plus, BFMTV.com a interrogé un spécialiste.

La CGT et FO à l'attaque

Pour réclamer "un changement de cap" de François Hollande sur la réforme des retraites, Thierry Lepaon met en avant des chiffres : "62,5 ans pour un homme, 63 ans pour une femme". Ce serait selon lui l'espérance de vie en bonne santé à l'heure actuelle en France.

"Donc si on veut que les retraités bénéficient de leur retraite en étant un minimum en bonne santé, reculer l'âge de la retraite ce n'est pas une bonne nouvelle pour eux", a-t-il expliqué jeudi sur RTL. Ce vendredi matin, sur France Info, même analyse pour Jean-Claude Mailly, qui affirme : "L'espérance de vie en bonne santé depuis la crise diminue".

Une stagnation, pas une diminution

Une chose est certaine : l'espérance de vie a nettement augmenté ces dernières années. Entre 2004 et 2011, les hommes ont gagné 2 ans de vie supplémentaire (78,7 ans), les femmes un peu moins, 1,9 année (85,7 ans). Ces chiffres sont calculés à partir de l'étude de tous les décès observés, explique à BFMTV.com Jean-Marie Robine, directeur de recherche à l'INSERM.

En ce qui concerne l'espérance de vie en bonne santé, la lecture des chiffres est plus compliquée. De quoi s'agit-il exactement? Selon la définition reprise par l'Insee, il s'agit du "nombre d'années en bonne santé qu'une personne peut s'attendre à vivre" : "Une bonne santé est définie par l'absence de limitations d'activités (dans les gestes de la vie quotidienne) et l'absence d'incapacités." Celle-ci est calculée à partir d'une enquête réalisée auprès d'un panel d'Européens.

Entre 2004 et 2011, celle des hommes progresse, passant de 61,5 à 62,7 années. En revanche, celle des femmes diminue, de 64,3 à 63,6 ans. "Dans la marge d'erreur", observe le spécialiste, qui conteste l'analyse de Jean-Claude Mailly : "On ne voit aucun décrochement en France, qui serait lié à la crise, on a plutôt des tendances régulières". L'argument des syndicats serait donc à prendre avec des pincettes.

En réalité, pour Jean-Marie Robine, il est plus juste de parler d'une "stagnation" de l'espérance de vie en bonne santé. Conséquence, les Français vivent plus vieux, mais proportionnellement moins longtemps en bonne santé: 79,6% de leur vie pour les hommes, 74,2% pour les femmes.

Des Français plus stressés au travail

Pas d'explication claire à cette tendance, affirme Jean-Marie Robine. D'autant plus que la définition de la bonne santé reste relativement floue. Le chiffre est calculé sur la base des réponses des Européens à trois questions, explique l'expert : "Comment est leur état de santé? Ont-ils un problème de santé chronique? Dans quelle mesure sont-ils limités dans les activités que les gens font habituellement?"

Selon lui, les chiffres s'expliquent plutôt par une hausse de "l'incapacité modérée". Rien à voir avec "la dépendance lourde d'une personne âgée": il ne s'agirait pas de l'incapacité à accomplir des taches élémentaires, mais des activités professionnelles ou de loisirs notamment.

Pour expliquer ce ressenti des Français, le chercheur avance l'hypothèse des changements dans le monde du travail, non sans conséquence sur la santé. Avec l'arrivée de l'informatique et d'internet, certes, les conditions de travail ne sont pas physiquement plus dures, "mais les gens rapportent beaucoup être très stressés au boulot".

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Mathieu Dehlinger