Déserts médicaux: comment va se dérouler l'envoi en renfort de médecins généralistes volontaires

87% du territoire français est un désert médical. Ce sont près de huit millions d'habitants qui voient les délais pour obtenir un rendez-vous s'allonger, qui parcourent des kilomètres pour une consultation, ou qui, parfois, finissent par renoncer à se faire soigner.
Pour endiguer ce phénomène, le gouvernement a annoncé ce lundi 1er septembre que l'envoi de médecins généralistes en renfort dans des déserts médicaux, jusqu'à deux jours par mois, sera opérationnel à partir de "la semaine prochaine". Le "déploiement progressif" de cette mesure a d'ailleurs commencé dès ce lundi.
Annoncé au printemps, ce dispositif signifie concrètement que des médecins, en exercice ou retraités, pourront mener des consultations dans ces territoires contre une rémunération additionnelle, dans une logique de "solidarité". Cet engagement reste en revanche basé sur le volontariat.
Deux jours par mois contre rémunération
Le ministre de la Santé Yannick Neuder a indiqué ce lundi qu'à Pissos, dans les Landes, où il est en déplacement, un médecin volontaire est déjà arrivé. Venu de Gironde, il doit travailler deux jours par mois à la maison de santé de la commune. En outre, une soixantaine de médecins se sont portés volontaires dans ce département et environ 200 dans la région Nouvelle-Aquitaine. "On va pouvoir niveler pour que ça puisse s'échelonner tous les jours de la semaine dans les différents lieux", a expliqué le ministre.
Le gouvernement avait détaillé 151 intercommunalités du pays dites "zones rouges", principalement au centre et sud-ouest hors littoral. Ainsi, au total, 2,5 millions de patients seraient concernés par ces renforts.
Ce dispositif fonctionnera donc pour l'heure sur la base du volontariat contre des contreparties financières. En plus de l'argent des consultations réalisées, le médecin qui sera venu exercer dans une zone rouge recevra une indemnisation forfaitaire de 200 euros par jour. Le gouvernement a indiqué avoir mandaté la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) "pour la mise en œuvre dès septembre".
Autre spécificité, les médecins volontaires peuvent pour le moment s'engager au maximum deux jours par mois. L'objectif est de "demander peu à beaucoup de médecins pour éviter de demander beaucoup à peu de médecins", a précisé Yannick Neuder.
Jusqu'à 30 millions de consultations par an?
Ces professionnels de santé pourront donc "venir donner deux jours de leur temps dans un territoire qui est particulièrement déficitaire et qui a été identifié", selon les mots du ministre. En effet, une carte des "zones rouges" a été établie par les préfectures et les agences régionales de santé.
"Grâce au mécanisme de solidarité territoriale, jusqu'à 30 millions de consultations par an pourront être assurées dans les zones identifiées comme prioritaires", a assuré le gouvernement.
Ces consultations pourront notamment être effectuées par des "remplaçants, jeunes retraités ou médecins qui veulent diversifier leurs pratiques". Concrètement, ils "peuvent s’engager en se rapprochant du conseil de l’ordre des médecins de la zone dans laquelle ils souhaitent s’engager ou encore de l’ARS concernée", a expliqué le ministère ce lundi.
Dans un entretien accordé à La Dépêche du Midi, Yannick Neuder a détaillé que "chaque territoire s'organise avec son agence régionale de santé, son préfet, ses élus locaux et ses professionnels. Cela peut se faire dans une maison de santé, un centre de santé, un cabinet paramédical ou des locaux municipaux". "Nous allons mettre à disposition un certain nombre d'outils pour faciliter le quotidien des médecins pour ces consultations", a-t-il ajouté, sans donner plus de précisions.
Il a toutefois indiqué étendre "les assistants médicaux aux structures qui réalisent ces consultations de médecine solidaire afin d'assurer au médecin volontaire de la fluidité dans ses journées".
Comme l'a précisé le ministre, ce nouveau dispositif fonctionnera pour les médecins "en proximité raisonnable". Pour les "éloignements plus importants", le ministre a cité l'association "Médecins solidaires" qui, eux, "font des transferts une semaine entière" plutôt que sur deux jours en raison des longues distances. Tous ces médecins volontaires pourront se faire remplacer dans leur cabinet principal.
"On fera une évaluation de ce dispositif dans trois mois", a indiqué le ministre de la Santé, qui a d'ailleurs précisé ne pas connaître à ce stade le nombre de médecins généralistes s'étant portés volontaires pour aller exercer deux jours par mois dans un désert médical. Il a également indiqué que le dispositif sera "opérationnel d'ici mi-septembre".
Une extension du dispositif prévue
Cette mesure s'inscrit donc comme l'une des étapes structurantes du "pacte de lutte contre les déserts médicaux". Dans ce plan présenté au printemps, le gouvernement précise que "cette mission de solidarité sera étendue, secondairement, à l’ensemble des zones sous denses, au-delà des territoires prioritaires et du premier recours".
En parallèle d'autres mesures comme le nouveau statut de "praticien territorial de médecine ambulatoire" pour les médecins en début de carrière, ce dispositif volontaire pour exercer dans un désert médical devrait également être étendu aux médecins spécialistes, en plus des généralistes. "Les ARS lèveront les freins administratifs à leur mise en œuvre et faciliteront les conditions d’accueil et d’exercice avec les élus et les collectivités territoriales", selon le gouvernement.
Cette phase de lancement a pour objectif de démontrer que les médecins sont prêts à s’organiser volontairement pour activer un mécanisme de solidarité territoriale qui renforce l'accès aux soins. "On va inciter les médecins, et ensuite, il faudra aussi roder le système, trouver les lieux adaptés, les maisons médicales, les bureaux disponibles pour accueillir les patients", avait précisé en juin le ministre de la Santé.
L'idée d'une obligation écartée
Effectivement, une mesure coercitive avait été évoquée par François Bayrou. Finalement, l’exécutif privilégie la méthode douce.
Pour la plupart des médecins libéraux, notamment ceux en étude, hors de question de se voir imposer l'endroit où ils travaillent. Selon eux, les déserts médicaux sont avant tout la conséquence d'un manque d'effectif et pousser de jeunes médecins vers des lieux qu'ils n'ont pas choisi impactera fortement l'attractivité du métier.
Certains députés, emmenés par le socialiste Guillaume Garot, avaient eux promu, au printemps, des mesures plus strictes, imposant des contraintes à l'installation des médecins, mais suscitant une opposition encore plus marquée de ces derniers.
Les élus emmenés par Guillaume Garot avaient critiqué les mesures finalement choisies par le gouvernement, regrettant leur caractère "facultatif (et) donc aléatoire", et évoquant un dispositif qui "ne peut en rien remplacer les réponses de fond".
Pas convaincus
La nouvelle mesure du gouvernement mise en place en cette rentrée de septembre est loin de convaincre tout le monde. Premier doute: va-t-on devoir déshabiller Paul pour habiller Jacques? Des médecins situés à proximité d'une zone en tension peuvent parfois déjà avoir des agendas surchargés. Le gouvernement veut d'abord mobiliser "les médecins qui disposent de temps".
Auprès de Ouest-France, le président de la communauté de communes Monts d'Arrée Communauté se dit septique. "On était déjà en zone d’intervention prioritaire. Il y avait déjà des facilités pour s'installer, une aide financière, des exonérations fiscales, des cabinets prêts. Et pour autant, personne n’est venu nous voir", a expliqué Jean-François Dumonteil.
En outre, "aucun médecin ne va accepter d'aller dispenser des soins à un patient qu'il ne reverra pas et dont il ne sait pas quelle vont être la suite de sa consultation", a déploré sur BFMTV Laure Artru de l'association "Citoyens contre les déserts médicaux".
"La médecine libérale de proximité est basée sur la notion de patientèle, de confiance avec les patients, de suivi dans le temps, de relations humaines", a abondé dans le même sens le Dr Roger Rua, médecin généraliste à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine).
"Là, on nous propose simplement de la médecine de supermarché où on va combler des trous", a-t-il ajouté.
93% des Français favorables à une "répartition plus équitable des médecins"
Selon un rapport de l'UFC-Que Choisir paru en juin, 73 départements français ont subi une baisse de leur densité médicale entre 2014 et 2023. Les 10 départements les moins dotés en 2014 comptaient en moyenne 18,6 médecins pour 10.000 habitants, ce chiffre tombe à 16 en 2023.
"Par exemple, en 2023, la densité médicale dans l’Eure ou l’Ain est respectivement de 15,7 et 15,9 médecins pour 10.000 habitants (ce chiffre descend même à 8 à Mayotte), contre 42,9 dans le Rhône, 45,7 en Hautes-Alpes, et même 76,8 à Paris", écrit l'organisme.
En outre, il existe également de fortes disparités en fonction des spécialités des médecins. Ainsi, si l'Île-de-France est bien dotée en spécialistes, plus d'un million et demi de Franciliens n'a pas de médecin traitant.
Selon la Fédération hospitalière de France et l'UFC-Que Choisir, jusqu'à 93% des Français interrogés se disent favorables à une "répartition plus équitable des médecins sur le territoire, quitte à leur imposer leur lieu d'exercice les premières années".