"Ça ne résoudra rien du tout": étudiants et médecins furieux contre la contrainte d'installation adoptée à l'Assemblée

Un professionnel de santé en blouse blanche, avec un stéthoscope dans les mains. - Flickr - CC Commons - A. Proimos
"Ça ne marchera pas, c’est perdu d’avance." De nombreux médecins et étudiants en médecine montent au créneau ces derniers jours contre un article d’une proposition de loi transpartisane, adoptée mercredi 2 avril par l’Assemblée nationale, qui vise à lutter contre les déserts médicaux.
"C'est du grand n'importe quoi", s'insurge par exemple Michael Rochoy, médecin généraliste installé à Outreau (Pas-de-Calais).
L’article au cœur des critiques prévoit de réguler l’installation des médecins, qu’ils soient libéraux ou salariés. Si celle-ci passait après l'examen du texte début mai, ces derniers devraient désormais obtenir l’accord de l’Agence régionale de santé (ARS) pour pouvoir s’implanter. L’autorisation serait automatique en zone sous-dotée, mais conditionnée au départ d'un autre médecin dans les zones mieux dotées.
"Aucun espoir que ça change positivement les choses"
Or aux yeux de ce médecin généraliste de 38 ans, "il n'y a aucun espoir que cette loi change positivement les choses". Elle est "contre-productive et délétère à l'accès aux soins". "Aujourd'hui, on a un problème de pénurie médicale et contraindre les médecins ne va pas augmenter le nombre d'installés. Ça ne fait que déplacer le problème."
"Au mieux, ça ne changera rien du tout", développe-t-il. "Au pire, cette loi va braquer beaucoup de jeunes médecins, va entraîner de nouveaux problèmes très concrets".
Cette mesure est aussi "une très mauvaise idée" pour Iseult Le Bars, étudiante en troisième année de médecine à l'université Paris-Cité. "Nos conditions d'études et de travail sont de pire en pire, et là on nous rajoute ça... Plus j'avance dans les stages et les études, plus la situation est catastrophique. Il y a deux ans, on nous a déjà rajouté une année d’internat", déplore la jeune femme de 25 ans.
"Ce n'est pas la meilleure méthode pour donner envie. Je pense que ça va juste dégoûter un maximum de personnes de choisir cette filière, alors que le métier de médecin généraliste est déjà de moins en moins attractif. Franchement, dans ma fac, je connais très peu de gens qui veulent faire généraliste et beaucoup parlent de partir à l'étranger, justement à cause de ça, et parce qu’il y a de plus en plus de contraintes. À force, on a l’impression d’être de la chair à canon dans un système qui nous utilise".
Une mesure qui manque de réalisme
Jean-Christophe Nogrette, médecin généraliste à Feytiat et président du syndicat des médecins généralistes de France (MG France) en Haute-Vienne, ne cache pas ses préoccupations concernant cette mesure. Selon lui, elle est déconnectée de la réalité des professionnels de santé et risque de ne pas répondre efficacement à leurs besoins. Il appelle surtout à former plus de médecins pour répondre à la demande.
"Vous avez 100 cases mais seulement 90 pions. Tous les ans, vous perdez un pion", tente-t-il d'illustrer. "Combien d'années mettrez-vous à obliger les 90, 89, 88, 87 pions à remplir les 100 cases? Dit comme ça, c’est évident, non? Ça ne peut tout simplement pas marcher."
À l'Assemblée nationale, le député socialiste Guillaume Garot, qui est à l'initiative de la proposition de loi avec un groupe transpartisan a martelé que "six millions de Français (étaient) sans médecin traitant, huit millions de Français vivent dans un désert médical". Une inégalité qui crée un "sentiment délétère pour notre République qui a failli dans sa promesse d'égalité de tous devant la santé".
Cette posture, "c'est de la démagogie pure et simple" aux yeux de Jean-Christophe Nogrette. "M. Garot sait que ça ne fonctionnera pas, que sa loi ne résoudra rien du tout mais il fait ce tintamarre médiatique car il veut qu'on l'associe à la lutte contre les déserts médicaux."
Un système déjà jugé "trop contraignant"
D'autant qu'il trouve le système déjà trop contraignant pour les médecins, ce qui pourrait pousser encore plus d'entre eux à quitter la profession ou à exercer autrement. "Mettez-vous à la place des jeunes médecins fraîchement diplômés. On leur dit: 'Si tu veux t’installer en libéral, tu devras demander l’autorisation à l’ARS pour mettre ta plaque à tel endroit, ou peut-être qu’on ne te la donnera pas'".
"Face à ça, beaucoup préféreront faire autre chose", met en garde le professionnel de santé. "Ils se dirigeront par exemple vers des postes salariés dans les hôpitaux, cliniques, services de rééducation, de la médecine esthétique, homéopathie, acupuncture, nutrition, ou médecine hospitalière".
La semaine dernière, une quinzaine d’organisations représentant les médecins libéraux avaient déjà dénoncé cette mesure dans un communiqué. Elles estiment qu’une régulation jugée "coercitive" risquerait d’avoir des effets contre-productifs sur l’accès aux soins. Des arguments rejetés par les défenseurs de la régulation: "les médecins auront la liberté d'installation sur 87% du territoire", a insisté Philippe Vigier (Modem).
Mardi 1er avril, le Premier ministre François Bayrou s'est dit favorable à une forme de "régulation", mais a appelé à bâtir un plan solution incluant l'ensemble des acteurs d'ici fin avril. Les débats sur le reste du texte, qui prévoit une suppression de majoration des tarifs pour les patients sans médecin traitant, ou encore le rétablissement d'une obligation de participer à la permanence des soins, doivent reprendre la semaine du 5 mai.