"Des injections entre la cuisine et le salon": malgré l'interdiction, des influenceurs continuent de faire la pub de faux médecins et chirurgiens esthétiques

Une femme recevant une injection de Botox à Arlington (Virginie) aux Etats-Unis le 5 juin 2009 (illustration) - WIN MCNAMEE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
Une décision de justice pour l'exemple? Le tribunal correctionnel de Versailles doit rendre ce mardi 8 juillet sa décision concernant l'influenceuse Rym Renom, jugée en juin pour pratiques commerciales trompeuses.
La jeune femme, qui compte près de deux millions d'abonnés sur Instagram, était poursuivie pour avoir fait la promotion, entre mai et novembre 2022 dans les Yvelines, de divers produits (lunettes, chaussures, vêtements pour enfants, thé...) en omettant de mentionner explicitement qu'elle était rémunérée pour ces services. Elle a également comparu pour avoir publié sur Instagram des stories vantant les mérites d'injections sous-cutanées alors que ces pratiques chirurgicales n'étaient pas réalisées par un médecin.
Rym Renom, qui réside à Bali (Indonésie), avait été condamnée en son absence à un an de prison ferme en février dans ce dossier. Elle avait fait opposition à sa condamnation, ce qui avait entraîné un nouveau procès. Lors de celui-ci, le parquet a requis une peine de cinq mois de prison avec sursis et une amende de 25.000 euros contre l'influenceuse.
Depuis plusieurs années, les autorités tentent de lutter contre ces publicités réalisées par des influenceurs pour des injections et autres services de médecine esthétique réalisés en toute illégalité. Mais avec quelle efficacité?
Des risques sanitaires importants
Organisations professionnelles, victimes et lanceurs d'alerte signalent régulièrement le danger que représentent les pratiques telles que les injections pour gonfler les lèvres ou pour combler les rides, lorsqu'elles ne sont pas réalisées par des médecins.
Entre août et septembre 2024, huit femmes ont ainsi dû être hospitalisées car elles présentaient des symptômes sévères de botulisme, une maladie neurologique grave, après avoir reçu des injections de botox réalisées par des personnes non qualifiées dans un centre en région parisienne.
Mal réalisées, des injections d'acide hyaluronique peuvent, elles, entraîner des nécroses, ce qui peut nécessiter une amputation, une perte de la vue, des troubles neurologiques...
D'après l'Ordre des médecins, les actes médicaux et chirurgicaux illégaux à visée esthétique connaissent une croissance inquiétante en France. En 2024, le nombre de signalements auprès de l'Ordre a atteint un record de 128, contre 123 en 2023 et 62 en 2022.
"Des injections entre la cuisine et le salon"
Le développement de ces business illégaux a notamment pu être favorisé par des publicités réalisées par certains influenceurs sur les réseaux sociaux. C'est en partie ce qui amenait Rym Renom devant le tribunal ce mardi. En 2022, l'influenceuse a fait la publicité d'une "docteure" qui n'avait rien d'un médecin, se montrant en train de recevoir des injections de botox dans le front.
Ces stories Instagram ressemblent à celles réalisées par de nombreux autres influenceurs pour ces services. On y voit souvent une femme, se revendiquant esthéticienne ou même médecin, qui propose des injections de botox ou d'acide hyaluronique dans un appartement ou même à domicile. Les influenceurs mettent en avant des offres aux prix attractifs, souvent bien en dessous de ceux du marché.
"On parle de publicités pour des femmes qui font des injections entre la cuisine et le salon", déplore Jean-Baptiste Boisseau, membre du collectif d'aide aux victimes d'influenceurs AVI et cofondateur du site Signal Arnaques.
Une loi peu appliquée
En 2023, des députés ont voulu mettre un terme à toutes ces pratiques problématiques, en interdisant totalement aux influenceurs de faire de la publicité pour des services de médecine ou de chirurgie esthétique, même réalisés par des vrais médecins.
Un échange lunaire qui a eu lieu le 22 juin à l'Assemblée nationale illustre toutefois le vide qu'il existe toujours sur ces sujets. Ce jour-là, des représentants de la DGCCRF, un service du ministère de l'Économie chargé de la répression des fraudes, sont auditionnés par la commission d'enquête sur les effets psychologiques de Tiktok. Commission présidée par le député Arthur Delaporte, qui a porté la loi de 2023 sur la régulation des influenceurs.
Interrogés sur les moyens dont la DGCCRF dispose pour lutter contre les contenus frauduleux d'influenceurs, les représentants expliquent que si la loi de 2023 interdit aux influenceurs toute publicité pour de la chirurgie esthétique, "personne n'est habilité, en matière de police de contrôle, sur ces dispositions de la loi". En clair, l'interdiction existe bien, mais personne n'est chargé de contrôler que personne ne passe outre et, le cas échéant, d'infliger des sanctions administratives.
Confrontés à ces contenus illicites, les enquêteurs de la DGCCRF ne peuvent donc que transférer à la justice. Mais en 2024, selon des chiffres présentés lors de cette audition, la DGCCRF n'a effectué que 13 signalements à la justice, pour toutes les infractions repérées et donc pas seulement la promotion de la médecine ou de la chirurgie esthétique. Auprès de BFMTV.com, elle confirme avoir constaté, en 2024, des cas de "promotion d’actes de chirurgie par des personnes non qualifiées" de la part d'influenceurs, sans en dire plus sur leur nombre ou leur nature.
Des dérives toujours constatées
Les lanceurs d'alerte confirment que les stories promouvant des fausses injectrices n'ont pas disparu. "Il y a eu une pause pendant un an, ce qui est sûrement un effet de la loi influenceurs qui a fait peur. Mais depuis mi-2024, ça a repris de plus belle", affirme Jean-Baptiste Boisseau.
"J'ai l'impression que quasiment rien n'a changé", abonde Audrey Chippaux, derrière le compte Instagram Vos Stars en réalité, qui alerte sur les arnaques des influenceurs. L'autrice du livre Derrière le filtre, enquête sur le système de l'influence constate aussi de nombreuses publicités pour des médecins à l'étranger, en Turquie notamment, qui ne peuvent assurer un réel suivi post-opératoire.
En avril par exemple, l'influenceuse Assia Lynne, suivie par près de 300.000 personnes sur Tiktok, y a fait la publicité d'une entreprise britannique qui fait "la tournée de BBL" (Brazilian butt lift, une opération qui consiste à augmenter le volume des fesses en injectant de la graisse prélevée sur une autre zone du corps) en Europe. La jeune femme mettait en avant un prix très faible par rapport à ceux qui sont normalement pratiqués, assurant qu'il s'agissait de "vrais médecins". Une affirmation qu'il est néanmoins impossible de vérifier.
Jean-Baptiste Boisseau estime que le problème ne tient pas seulement dans ce vide législatif qui empêche la DGCCRF de prononcer des sanctions envers ces influenceurs: "le problème, c'est la réaction des autorités dans leur globalité", explique ce porte-parole du collectif AVI, appelant à une réponse forte.
"Tant qu'on a des points sur le permis, on peut se permettre de rouler vite", illustre aussi Audrey Chippaux. En l'absence de sanctions fortes, elle s'efforce de faire de la pédagogie sur ses propres réseaux: "il faut que les gens comprennent que ce n'est pas parce qu'ils voient ces pubs qu'elles sont autorisées". Reste à voir si le procès de Rym Renom servira d'exemple pour ses collègues.