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Covid-19: pourquoi les vaccins russe et chinois ne sont-ils pas distribués en France?

Photo diffusée le 6 août 2020 par le Fonds souverain russe du vaccin Spoutnik V, développé par l'Institut de recherches Gamaleya

Photo diffusée le 6 août 2020 par le Fonds souverain russe du vaccin Spoutnik V, développé par l'Institut de recherches Gamaleya - Handout © 2019 AFP

Les vaccins chinois et russe n'avaient pas fait l'objet d'achats à l'avance de doses par l'Union Européenne et jusqu'à récemment, aucun des laboratoires qui les produisent n'avait demandé à être commercialisé sur le sol européen.

Le vaccin russe Spoutnik V a été jugé efficace à 91,6% contre les formes symptomatiques du Covid-19, selon les conclusions publiées mardi dans la revue médicale The Lancet et validées par des experts indépendants. Des résultats comparables à ceux des vaccins de Pfizer/BioNTech et Moderna, validés par l'Union Européenne, et même supérieurs à celui d'AstraZeneca, dont l'efficacité est de 70% en moyenne.

Aucune dose de ce vaccin russe n'avait toutefois été préempté par l'UE, contrairement à ce qui a été fait pour d'autres laboratoires comme celui de Sanofi, dont le sérum ne sera prêt que dans plusieurs mois. Des vaccins chinois ont également été développés en 2020, et sont actuellement utilisés dans plusieurs pays dans le monde, mais ne semblent pas intéresser le vieux continent.

"Tous les vaccins doivent être examinés, il n'y a pas de préjugé à avoir à l'égard de l'origine d'un vaccin", expliquait vendredi sur BFMTV Alain Fischer, immunologue à la tête de la stratégie vaccinale en France. "S'ils démontrent qu'ils sont sûrs, efficaces, qu'ils sont des produits de qualité et qu'éventuellement ils pourraient être disponibles au niveau de la communauté européenne, pourquoi pas, il faut juste remplir toutes ces conditions".

"Jusqu’à novembre, on ne savait pas quels vaccins allaient protéger"

"La France se procure des vaccins par le biais de l'UE, et de l'Agence européenne des médicaments (EMA)", explique à BFMTV.com Cecil Czerkinsky, directeur de recherche en immunologie à l’INSERM. Et "un certain nombre de doses a été préempté cet été par l'UE, entre juillet et septembre, chez certains fournisseurs qui semblaient les plus avancés dans leurs recherches".

Le choix de ces vaccins - alors en cours de réalisation - s'est donc fait en fonction des données du moment. "A l'époque pour certains on n'avait que des données très parcellaires, avec encore des manipulations sur la souris", explique à BFMTV.com Stéphane Paul, immunologiste et membre du comité vaccin Covid-19.

Entrait également en jeu la capacité des laboratoires choisis à pouvoir produire beaucoup et au plus vite en cas de réussite, explique-t-il. Les sites de fabrication des doses vaccinales doivent alors correspondre à certaines caractéristiques, être inspectés et homologués pour la fabrication du vaccin qui suit sa création, souligne Cecil Czerkinsky.

"La France et l’Europe ont choisi – avec raison – d’investir dans un portefeuille de vaccins candidats correspondant à plusieurs plateformes (ARN, adenovirus, sous-unités) dans la mesure où, jusqu’au mois de novembre, on ne savait pas quels vaccins allaient protéger contre le Covid-19", explique à BFMTV.com Marie-Paule Kieny, virologue et experte en santé publique française, présidente du comité vaccin Covid-19.

Ils "ont aussi décidé d’investir dans des produits développés par des producteurs connus pour leur respect de normes de qualité exigeantes et capables de produire de grandes quantités de vaccins", ajoute-t-elle.

Tous les laboratoires ne cherchent pas à vendre à l'Europe

Ensuite, au moment où un laboratoire pense avoir abouti ses recherches, pour que le vaccin puisse "être évalué au niveau de l'Europe, il faut qu'il y ait un dépôt de la part de l'industriel, de dossier auprès de l'EMA", explique la Haute Autorité de la Santé à BFMTV.com. "C'est elle qui, après étude du dossier, donnera l'autorisation de mise sur le marché" du produit.

Or tous les laboratoires actuellement en train de créer et de diffuser des vaccins n'ont pas tous déposé de demande à l'Union Européenne. Les autorités russes ne l'ont fait que récemment, fin décembre, en annonçant avoir déposé une demande d'enregistrement à l'EMA. Mais ce n'est pas le cas pour les sérums chinois de Sinopharm ou de Sinovac. Le vaccin de ce dernier a montré une efficacité de 50% lors d'essais au Brésil, et de 90% en Turquie, des données encore difficilement interprétables.

"Ces pays veulent avant tout vacciner leur propre population, avec raison" souligne Marie-Paule Kieny. "Ensuite, ils ont choisi d’utiliser leurs vaccins pour renforcer leurs liens avec un certain nombre de pays, qui ont besoin de ces vaccins pour leurs propres populations".

Les vaccins russe et chinois sont en effet comme les autres limités en doses, au moins pour le moment, et avec plus d'1,3 milliard d'habitants, la Chine est d'une certain façon auto-suffisante sur son sol. Ses doses sont actuellement distribuées au Brésil, ou encore aux Émirats. Il y a "des accord bilatéraux" entre eux, explique Cecil Czerkinsky.

D'autres vaccins arrivent pour l'UE

Si des retards de doses sont aujourd'hui constatés, et que certains vaccins semblent tarder à être mis sur le marché, il ne faut pas oublier que l'Union Européenne s'est assurée de l'arrivée de centaines de millions de doses pour ses 448 millions d'habitants, et que les tensions sur l'approvisionnement devraient diminuer. En attendant, "il serait immoral que l’Europe ou la France essayent de préempter à leur profit tous les vaccins produits dans le monde", déclare Marie-Paule Kieny.

"C'est une pandémie, ça ne servirait à rien de vacciner uniquement l'Europe, il faut réfléchir à une stratégie mondiale de vaccination", abonde Stéphane Paul.

Interrogé lundi soir sur l'arrivée de prochains vaccins dans l'Union Européenne, Alain Fischer a évoqué sur France 2 le produit de l'américain Janssen, "dont les premiers résultats d'efficacité vont arriver et qui sont de bon niveau. Donc il devrait pouvoir être disponible j'espère au courant du mois de mars".

"Il y a un autre vaccin ARN, de la société allemande Curevac, dont on attend les résultats", et pour lequel des pré-commandes ont été faites, explique-t-il. "Et enfin, il y a un troisième vaccin qui est intéressant, celui de la société Novavax (États-Unis) (...) Les premiers résultats ont été diffusés il y a quelques jours et ils sont très bons, 89% de protection, donc c'est un bon résultat. L'Europe aura un peu de ce vaccin aussi, quelque part au printemps, tout ceci est à préciser".

Enfin, il n'est pas impossible que dans les prochains mois, le vaccin russe - ou même les vaccins chinois, si leurs données sont consolidées - soient validés par l'EMA, et viennent s'ajouter à la cohorte des doses distribuées en Europe, et donc en France.

Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV