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"Séparatisme" plutôt que "communautarisme": les raisons du choix de Macron

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Emmanuel Macron se déplace à Mulhouse ce mardi. Il doit y prononcer un discours révélant son plan pour lutter contre le "séparatisme islamiste". L'expression a été préférée à celle de "communautarisme". Ce choix s'explique par une volonté d'éviter la stigmatisation des musulmans et s'appuie sur un imaginaire politique nourri.

C'était le 25 septembre 1792, quatre jours après la naissance de la République, sur les bancs bouillants et surexcités de la Convention nationale, l'assemblée dirigeant les destinées d'une France en pleine révolution. Les députés déclaraient que la République était "une et indivisible". Une façon pour eux de contrer toute velléité de faire du pays une constellation de petites fédérations et l'éventualité d'un affaiblissement du pouvoir législatif concentré à Paris. Ce principe n'a pas tardé à être mis à l'épreuve par les révoltes lyonnaise ou surtout vendéenne, et donc réaffirmé. Sous diverses formules, il n'a cessé d'être rappelé par toutes les constitutions depuis lors, dont celle de la Ve République.

Et c'est à cette tradition déjà ancienne qu'Emmanuel Macron fera implicitement référence ce mardi à Mulhouse, en fustigeant le "séparatisme islamiste" dans le discours qu'il doit y prononcer. 

Quelques heures avant cette prise de parole, arrivé à la mi-journée dans le quartier mulhousien de Bourtzwiller, le chef de l'Etat a commencé à expliciter:

"On avait dans ce quartier des associations qui prônaient de sortir de la République, de la déscolarisation, des influences extérieures. C’est ce que j’appelle le séparatisme. Je ne suis pas à l’aise avec le terme de 'communautarisme' car on est dans la nation française mais on peut se sentir des identités multiples si on respecte les lois de la République."

"Un changement de terme qui a son importance"

L'expression a en effet été favorisée aux dépens de celle, plus attendue peut-être, de "communautarisme". Dans un cas comme dans l'autre, le terme pointe l'entre-soi, le retranchement hors d'un ensemble commun. Le "séparatisme" lui ajoute cependant la dimension de sécession, à la fois rupture territoriale et volonté militante de substituer la loi du groupe à celle de la nation.

Pour notre éditorialiste politique, Christophe Barbier, ce mardi matin, dénoncer le "séparatisme politique" permettrait aussi dans l'esprit de l'Elysée d'éviter de se tromper de cible et donc de frapper des victimes collatérales: 

"C’est un changement de terme qui a son importance. ‘Lutter contre le communautarisme’ est apparu à l’Elysée comme susceptible d’être accusé de stigmatisation, contre la ‘communauté musulmane’. Il fallait donc viser plus près, plus précis, identifier au cœur de ces dérives le véritable ennemi et l’ennemi ce n’est pas le communautarisme, il n’y a pas de communauté, c’est pas la globalisation mais ce sont les séparatistes, ceux qui veulent séparer un bout de la citoyenneté française, du territoire de la République."

"Ce séparatisme peut être géographique, les quartiers où on ne rentre plus, juridique, ceux qui disent que le Coran est au-dessus de la loi républicaine, ou géopolitique si j’ose dire, c’est-à-dire des endroits où le financement par des pays étrangers vient tellement abonder la vie de la communauté musulmane qu’on est sous dépendance étrangère", ajoute Christophe Barbier.

Les voyages du séparatisme 

Selon L'Obs, c'est le 6 février dernier, au sortir de la réception de maires de communes de banlieues que le chef de l'Etat a arrêté sa décision sémantique. Le député Hervé Berville, porte-parole de La République en marche, a loué l'option de son chef auprès du Huffington Post ce mardi: "Le terme ‘communautarisme’ ne recouvre pas suffisamment la réalité. Une communauté peut-être très positive. Le mot séparatisme est plus précis, moins galvaudé. Il correspond plus à ce qui se passe dans certains territoires".

Gabriel Attal, secrétaire d'Etat à la Jeunesse, a voulu croire auprès du Monde que la formulation avait le bénéfice de la clarté. "Sur le terrain, les habitants des quartiers ne se reconnaissent pas dans le terme 'communautarisme', c’est un mot politique et médiatique. Il ne faut pas arrêter de parler du sujet, mais il faut en parler plus clairement."

Ce qui est clair, surtout, c'est que le "séparatisme" a beaucoup voyagé. A l'origine, comme l'a remarqué La Croix, il s'inscrivait dans un contexte résolument protestant, désignant le départ de fidèles quittant l'Eglise anglicane pour embrasser un rite minoritaire ou les différentes cassures internes au luthérianisme. Il a par la suite migré vers les sphères politiques. Le quotidien se souvient ainsi d'un discours du général de Gaulle, le 5 octobre 1947 à Vincennes:

"Les séparatistes, exploitant les misères et attisant les colères afin que notre peuple en vienne à ce degré de désespoir où il leur serait possible d’établir leur dictature pour mettre la France au service de leurs maîtres étrangers, emploient toutes les ressources du mensonge, autrement dit de leur propagande, pour empêcher cette union civique et ce redressement de l’État qui les condamneraient tout au moins à l’impuissance". Il parlait alors des communistes.
Robin Verner