Pour adhérer aux idées du FN, encore faudrait-il qu’il en ait !

Hervé Gattegno - -
Il serait absurde de nier l’enracinement du FN dans notre paysage électoral – les 18% de Marine Le Pen à la présidentielle l’ont assez montré. Mais pour ce qui est de son influence réelle dans le débat politique, il ne faut pas faire mentir les chiffres. Il est vrai que 32% de sondés disent partager les idées du FN (entièrement ou en partie) et que c’est le plus haut niveau mesuré en 30 ans. Mais la formulation laisse penser – à tort – qu’il s’agit d’une adhésion au programme du FN. En fait, c’est tout l’inverse : 81% des sondés rejettent les « solutions » préconisées par M. Le Pen. On est donc loin de la « banalisation », mais plutôt dans la dramatisation.
D’après le sondage, il y aurait pour la première fois moins de 50% des Français à juger le FN comme « un danger pour la démocratie ». Est-ce qu’il ne faut pas plutôt parler de « normalisation » ?
Si un parti qui concourt aux élections et n’appelle pas à l’insurrection est « normal », le FN l’est assurément – comme les partis trotskistes, celui des chasseurs et même de Jacques Cheminade. Mais aucun de ceux-là ne suscite un tel niveau de rejet ; ce qui prouve que malgré les thèses sur la « dédiabolisation » et les sourires de Marine Le Pen, certes plus avenants que les calembours de son père, le FN reste un repoussoir. De fait, le sentiment d’avoir affaire à un parti dangereux recule – mais ce n’est peut-être pas tant parce que les théories du FN font moins peur mais que la perspective de le voir arriver au pouvoir perd du crédit. On peut trouver que les Pen sont à la fois peu démocrates et peu dangereux…
Comment peut-on interpréter alors cette fameuse approbation des « idées du FN » par un tiers des Français ? Est-ce que c’est une erreur d’analyse ?
Plutôt une lecture fantasmatique qui découle de la conception de l’enquête. Si répondre oui à la question : « Trouvez-vous qu’on ne défend pas assez les valeurs traditionnelles en France ? » marque une adhésion aux idées du FN, alors la lepénisation des esprits a fait 72% de victimes ! Mais les valeurs de la France, ce n’est pas forcément « travail, famille, patrie » ; c’est « liberté, égalité, fraternité », les droits de l’homme, le droit d’asile – et ça, ce n’est pas le corpus du FN… A l’inverse, juger qu’il y a « trop d’immigrés en France » (54%), c’est être en phase avec le FN mais le PC le disait déjà il y a 40 ans… Donc s’il y a une radicalisation de l’électorat, elle doit plus à la crise qu’à l’influence du FN. Une exception : le rejet de l’islam. Sur ce sujet-là, on peut dire que le FN a fait école – et pas une école républicaine…
Autre chiffre : 35% des sondés estiment que le FN pourrait « participer à un gouvernement ». Est-ce que ça ne contredit pas votre appréciation, selon laquelle le FN serait un parti sans idée ?
Le FN défend des idées, mais il reste plus un parti protestataire qu’un « parti de gouvernement ». La preuve : ceux qui votent pour Mme Le Pen sont plus nombreux que ceux qui croient à son projet (à peine 12%). Ce que l’enquête montre bien, c’est que la préférence nationale, la peine de mort, l’abandon de l’euro sont des propositions ultra-minoritaires. C’est la preuve que les points forts de l’identité politique du FN sont ses points faibles dans l’opinion. Et que si une partie de ses idées est inquiétante, le parti lui-même n’est pas aussi menaçant qu’il le voudrait…
Ecoutez ici le Parti Pris d'Hervé Gattegno de ce jeudi 7 février.