Le Sénat vote en faveur de l'interdiction des mariages aux étrangers en situation irrégulière

Vue de l'hémicycle du Sénat le 11 novembre 2024 - Bertrand GUAY / AFP
Le Sénat a adopté, jeudi 20 févier, une proposition de loi centriste visant à interdire le mariage aux étrangers en situation irrégulière. Le texte a reçu un soutien appuyé du gouvernement, malgré d'importantes barrières juridiques a sa mise en application.
Les sénateurs ont adopté ce texte en première lecture à 227 voix contre 110, avec l'approbation de la majorité droite-centriste de la chambre haute et malgré l'opposition claire de la gauche. Cette dernière estime la mesure attentatoire aux libertés fondamentales et met en avant la jurisprudence défavorable du Conseil constitutionnel.
"Le mariage ne peut être contracté par une personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire national", estime le sénateur de la Somme Stéphane Demilly, à l'origine de la proposition de loi.
"Ce texte est simple, univoque, laconique", a résumé son auteur, "choqué" de voir les maires priés de "lire des articles de la loi française à de futurs époux alors qu'ils n'ont rien à faire dans le pays".
L'élu affirme vouloir ains lutter contre des mariages "blancs" ou "gris", c'est-à-dire simulés, arrangés, "de complaisance" ou "frauduleux", contractés pour faciliter par la suite l'obtention de la nationalité française.
Plusieurs maires visés par la justice
L'initiative du parlementaire entend également répondre par la loi à l'affaire du maire UDI d'Hautmont (Nord), Stéphane Wilmotte, assigné en justice par un ex-responsable de mosquée expulsé vers l'Algérie qu'il avait refusé de marier en juin 2023.
Ce vote intervient par ailleurs alors que le maire de Béziers, Robert Ménard, fait face à la justice pour avoir refusé de célébrer un mariage entre une jeune femme française de 30 ans et un jeune homme algérien de 24 ans, en situation irrégulière.
Auditionné mardi 18 février, au tribunal de Montpellier, dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), le maire de Béziers, a indiqué à la presse avoir refusé la proposition du parquet de "plaider coupable". Robert Ménard sera en conséquence convoqué à une date ultérieure devant le tribunal correctionnel. Il risque jusqu'à cinq ans de prison, une amende de 75.000 euros et une peine d'inéligibilité.
Les ministres de l'Intérieur Bruno Retailleau et de la Justice Gérald Darmanin se sont tous les deux prononcés récemment en faveur d'un changement de la loi afin d'interdire le mariage quand l'un des époux est en situation irrégulière, apportant leur soutien à la position du maire de Béziers.
Une jurisprudence défavorable du Conseil constitutionnel
La jurisprudence du Conseil constitutionnel est cependant très claire sur le sujet: "Le respect de la liberté du mariage (...) s'oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d'un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l'intéressé", indiquent les Sages dans une décision de 2003.
Néanmoins, "poser deux fois la même question au juge constitutionnel à 20 ans d'intervalle n'est ni insolent ni kamikaze. C'est reconnaître que la société évolue", a insisté Gérald Darmanin devant les sénateurs.
L'écologiste Mélanie Vogel a elle dénoncé "une attaque en règle contre la Constitution, contre la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et donc contre l'état de droit", quand la socialiste Corinne Narassiguin a fustigé une initiative qui "reprend le programme de l'extrême droite" pour "alimenter des fantasmes et amplifier un climat anxiogène de xénophobie et de racisme".
L'élue pointe aussi la "volte-face" de Gérald Darmanin, qui s'était clairement opposé à cette proposition lors des débats sur la loi immigration fin 2023 devant la chambre haute.
Si l'Association des maires de France (AMF) est favorable au texte, les maires de l'Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita) l'ont eux jugé "discriminant".
De nouveaux dispositifs
Mais l'alliance LR-centristes, majoritaire au Sénat, a fait adopter la mesure en l'assortissant de nouveaux dispositifs jugés plus "solides" juridiquement.
Elle a ainsi voté une mesure, avec l'appui du gouvernement, pour imposer aux futurs époux de nationalité étrangère de fournir au maire des justificatifs de séjour. Cet outil devant permettre aux maires de caractériser une "absence de consentement" suspectée, par exemple, avant de saisir le procureur de la République, seule autorité pouvant interdire une union.
Les sénateurs ont aussi allongé le délai du "sursis au mariage", soit le temps d'enquête du procureur saisi par le maire en ce sens. Sursis qui serait réputé automatique en l'absence de réponse du procureur sous 15 jours.
Autant d'aménagements destinés à "trouver une voie de passage", insiste Stéphane Demilly, qui estime que "ce n'est pas parce que le Conseil constitutionnel dresse un immense nuage noir au-dessus de nos têtes qu'on n'a pas le droit d'essayer de passer à travers".