Non, l’affaire Cahuzac n’est pas une affaire d’Etat

Hervé Gattegno - -
C’est un scandale politique, une affaire grave : un ministre qui fraude le fisc et qui ment pour se couvrir. Mais une faute, un délit individuel(s). On peut parler d’affaire d’Etat quand l’Etat est impliqué en tant que tel : Greenpeace avec les services secrets, les écoutes de l’Elysée sous François Mitterrand, l’affaire Bettencourt dans une certaine mesure, s’il est avéré qu’il y a eu tentative d’étouffement décidée à l’Elysée sous Sarkozy. Des exactions commises par le pouvoir ou en son nom. Rien de tout cela dans l’affaire Cahuzac. La faute du ministre va causer un grand mal. On n’y remédiera pas avec des grands mots.
Pensez-vous, comme François Hollande l’a dit, que « plus hautes autorités ont été trompées » ?
C’est le scénario le plus plausible et il est cohérent avec le mensonge public de Jérôme Cahuzac. Surtout, pour accuser le pouvoir de forfaiture, il faudrait plus qu’un raisonnement. A nouveau, c’est la machine à salir qui s’emballe. Mediapart accuse Pierre Moscovici d’avoir abusé de ses pouvoirs pour tenter de blanchir Jérôme Cahuzac, Le Monde écrit que Jérôme Cahuzac faisait de la boxe avec des gens d’extrême-droite et qu’un « ami de Marine Le Pen » a ouvert le compte de Cahuzac – il y a 20 ans, elle finissait ses études ! On est passé de la recherche d’un compte particulier à un règlement de comptes général. Ça ne fait pas avancer la vérité.
François Hollande annonce 3 réformes pour clarifier notre système politique : plus d’indépendance pour la justice, plus de contrôle pour les élus, inéligibilité à vie pour les élus condamnés dans des affaires d’argent. Est-ce suffisant ?
Non. Le texte sur la justice était prêt avant l’affaire ; l’inéligibilité à vie est inconstitutionnelle, donc il ne reste que le contrôle du patrimoine des élus – un serpent de mer. Il aurait fallu un signal plus fort : le durcissement des peines contre les délits financiers, une cellule de contrôle dédiée au train de vie des élus. Surtout un plan de lutte contre la fraude fiscale, avec moyens et sanctions accrus. C’était le moyen d’acquitter la dette morale de l’affaire Cahuzac tout en comblant la dette financière du pays. Il manquait aussi des phrases fortes sur les engagements économiques du gouvernement. Quand celui qui incarnait la rigueur budgétaire a lui-même manqué de rigueur personnelle, c’est la confiance dans cette politique qui est en jeu.
Faudrait-il un changement de gouvernement, comme le réclament l’UMP et le FN ?
Ce serait absurde à chaud – mais on comprend que l’opposition en ait envie : ce serait consacrer l’existence d’une crise politique majeure là où il n’y a, pour l’instant, que la mise en cause d’un homme. Il ne faut pas se laisser abuser par ce concours de proclamations vertueuses. Dans l’affaire Cahuzac, la démocratie (très imparfaite) a fonctionné : un journal a sorti son information, la justice a ouvert une enquête, le ministre a démissionné, le débat est ouvert devant le Parlement et devant les Français. C’est normal, et c’est beaucoup. Il faut faire la différence entre demander des comptes et réclamer des têtes.
Ecoutez ici le Parti Pris d'Hervé Gattegno de ce jeudi 4 avril.