Michel Barnier : « Il faut mettre en place une nouvelle PAC »

Michel Barnier, Ministre de la pêche et de l’Agriculture. - -
Jean Jacques Bourdin reçoit Michel Barnier, Ministre de la pêche et de l’Agriculture.
Jean Jacques Bourdin : Les prix des matières premières augmentent, telles que le blé, le lait. Que se passe-t-il ? Est-ce qu’on va inciter nos agriculteurs à produire plus ?
Michel Barnier : Les prix augmentent parce qu’il y a une tension et les produits deviennent rares dans un monde qui est de plus en plus peuplé. Il va falloir doubler la production et l’offre de nourritures et de productions, pour pouvoir nourrir cette population, avec, des habitudes alimentaires qui changent. Il y a des changements dans les cultures et donc dans les espaces cultivés considérables. Ça c’est la première tendance très lourde et durable. L’autre tendance durable c’est qu’il n’y a plus de stock ; enfin, nous avons une offre insuffisante par rapport à la demande et il n’y a pas assez de produits. La vocation principale des agriculteurs à savoir de produire pour nourrir retrouve une nouvelle justification. C’est-à-dire comment produire autrement qu’il y a cinquante ans, en tenant compte davantage ou plus scrupuleusement de l’environnement et de la sécurité alimentaire.
J-J B : Donc en France, on va remettre en culture des centaines de milliers d’hectares ?
M B : Quatre millions d’hectares en Europe donc de très grandes surfaces en France qui étaient bloquées selon le principe du jachère. On va garder les jachères à dessein des bio diversités pour l’écologie mais on va remettre en culture pour produire davantage. C’est une manière de faire baisser la pression sur les prix. Ça ne suffira pas sans doute, puisque cette tendance à l’augmentation est aggravée par des phénomènes conjoncturels par exemple la sécheresse en Australie, les phénomènes climatiques en Ukraine, qui sont de grands pays producteurs et qui produisent moins. Du coup la tension est encore plus forte.
J-J B : Ça veut dire que c’est la fin de la Politique Agricole Commune ?
M B : Non, c’est le début d’une nouvelle PAC, d’une nouvelle justification à une grande problématique.
J-J B : L’agriculteur Français tirera ses revenus de sa production plus que de subventions dans l‘avenir?
M B : Une partie des agriculteurs va pouvoir, dans le prix de ce qu’ils vendent, toucher un revenu. Pour être juste il faut dire deux choses pour relativiser. La première, que l’augmentation des prix des matières premières a des conséquences négatives pour certaines filières agricoles, notamment les éleveurs, qui achètent cette matière première pour nourrir leurs bêtes. Donc les prix qu’ils doivent subir sont beaucoup plus élevés, les coûts de production le sont aussi et même les revenus vont baisser pour certains éleveurs. Les éleveurs vont être en difficulté et il faut en tenir compte. Et puis il y a l’autre réalité dans le monde d’aujourd’hui, c’est la spéculation. Voila pourquoi il faut une politique agricole commune, parce qu’on ne peut pas laisser ces biens alimentaires, notre nourriture à tous, au gré des marchés. Moi je veux bien être libéral et je le suis, je crois à l’initiative privée, mais je ne crois pas qu’on puisse laisser à la seule loi des marchés, à la spéculation internationale, ce qui constitue la nourriture des gens. Donc il faut des régulations, il faut stabiliser les marchés. Il faudra donc mettre en place une nouvelle politique agricole commune.
J-J B : On va essayer de produire avec moins d’engrais, d’insecticide et de pesticide…
M B : C’est une obligation et ce en faisant attention aux espaces et ressources naturels qui ne sont ni gratuits ni inépuisables. Certains agriculteurs sont engagés dans l’agriculture biologique et nous allons les soutenir.
J-J B : Est-ce que vous allez interdire définitivement l’utilisation du Gaucho et du Régent ?
M B : Nous allons limiter systématiquement ces deux produits qui tuent les abeilles. Ils sont suspendus et des enquêtes sont faites pour démontrer la nocivité de tel ou tel produit. Moi je suis extrêmement réservé sur ces produits et je suis très vigilant. J’ai mis dans la loi française en 1995, comme ministre de l’environnement, deux mots importants qui sont le « principe de précaution ». Et j’ai mis deux autres mots dans la même loi : « débat public ». Donc j’aborderai ce sujet des pesticides qui peuvent être des dangers si les scientifiques nous le démontrent, avec le soucis du principe de précaution et le soucis de la transparence et du débat public.
J-J B : Vous n’avez pas peur d’interdire définitivement le Gaucho et le Régent donc …
M B : Si un éventuel danger est prouvé et notamment pour les apiculteurs alors je ferais le nécessaire.
J-J B : Où en est-on avec le nitrate, et notamment en Bretagne ?
M B : En arrivant j’ai trouvé cette crise, une absence de confiance totale, d’une part de la Commission Européenne dans le Gouvernement Français. Nous avons été en justice avec de conséquences très sérieuses. D’autre part l’absence de confiance des agriculteurs locaux qui avaient le sentiment d’être lâchés alors qu’il faut les accompagner vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Je me suis donc attaché, avec le cabinet du ministre du développement durable, Jean-Louis Borloo, à rétablir cette double confiance avec les acteurs locaux en partie qui ont besoin de dialogues. Au moment où je vous parle, et je le dis avec précaution, je pense que la Commission est sur le point de décider la semaine prochaine de différer cette saisie de la Cour de Justice, de nous donner un nouveau sursis à statuer avec une durée indéterminée, parce que je pense que nous avons rétabli, avec la Commission Européenne, la confiance qui manquait. Le commissaire chargé de ce dossier, M. Dimas, qui est le commissaire à l’environnement et la commissaire à l’agriculture, avec lesquels nous avons beaucoup travaillé, vont soumettre la semaine prochaine une décision pour nous permettre d’engager le plan que j’ai présenté avec M. Borloo aux agriculteurs locaux. J’avais dit en arrivant au gouvernement que cette question des nitrates, sur laquelle les agriculteurs ont fait beaucoup d’efforts, ne peut pas être traitée sans les agriculteurs et encore moins contre eux. On la traite avec eux et je crois qu’on a réussi à le faire, même si c’est difficile. Je pense que nous allons échapper à la sanction de départ parce que nous sommes engagés dans un processus pour respecter cette directive qui date de 1975, avec un plan très sérieux, qui nous a permis de rétablir cette confiance avec la Commission Européenne.
J-J B : Les régions vont demander un oratoire sur les OGM… vous êtes favorable à cet oratoire ?
M B : Ne me demandez pas de dire maintenant la conclusion du Grenelle. Les OGM ont une utilité et ils ont différentes dimensions : les OGM à vocation de nutrition, sanitaire pour la santé publique, ils peuvent augmenter la production de manière plus vertueuse. Ne jetons donc pas les OGM dans un discours irrationnel et regardons leur utilité. Je tiens absolument à ce qu’on préserve la recherche Française dans ce domaine, c’est une autre question que les cultures en plein champ à des fins commerciales.
J-J B : Un décret européen oblige les cultivateurs des parcelles OGM à informer leurs voisins. Il y a même une distance de cinquante mètres à respecter entre les parcelles OGM et parcelles non OGM. Comment se fait-il qu’aucune compagnie d’assurance ne veuille couvrir le risque de contaminations OGM ?
M B : Parce qu’il y a pour ces compagnies et pour un certain nombre de scientifiques, un doute. Moi je m’appuie sur d’autres analyses qui sont faites par des scientifiques respectables. Encore une fois, il faut aller au bout de cette discussion de manière apaisée et c’est ce que nous voulons faire. M. Borloo a parlé lui-même d’une loi qui reprendra ces contraintes. Peut être qu’il accentuera ces distances de cultures si ces cultures restent autorisées à des fins commerciales. Je pense qu’il faudra renforcer d’une manière ou d’une autre la crédibilité des instances d’évaluations. Le Ministre de l’État a parlé d’une haute autorité, une idée qui ne me choque pas puisqu’il y a une quinzaine d’années j’avais un rapport parlementaire dans lequel j’avais proposé la création d’une haute autorité de l’environnement, pour aider à la décision publique, pour aider à la compréhension des citoyens.
J-J B : Le bio dans la restauration collective représente 0.1 %, ce qui est très peu par rapport à d’autres pays européens. Est-ce que vous souhaitez que les cantines bios se multiplient en France ?
M B : Avant de multiplier les cantines bios, il faut augmenter la production bio. Nous allons lancer un nouveau plan pour soutenir cette production. Il y a des aides pour les éleveurs bios et nous allons les conserver et les renforcer. Je suis assez favorable à une augmentation de la part du bio dans la production agricole française.
J-J B : Vous allez aider la pêche à l’anchois, avec quinze millions d’euros pour soutenir les marins pêcheurs. Vous allez les aider à moderniser leurs techniques de pêche et à se diversifier dans d’autres espèces. Ça veut dire que la pêche à l’anchois est terminée ?
M B : Non, je crois à la pêche à l’anchois. Pour entrer dans les détails, l’anchois est un poisson qui ne vit que trois ans et il y a trois ans il n’y avait plus d’anchois, on était tombé largement au dessous du seuil de renouvellement biologique de la ressource en anchois. La Commission, de manière assez juste, a interdit cette pêche. Si j’ai demandé en arrivant au gouvernement qu’on rétablisse un quota de trois mille tonnes d’anchois, c’est que nous avons la preuve qu’on est repassé au dessus du seuil de renouvellement. J’avais donc pensé raisonnable de demander ce stock nouveau de pêche, de trois mille ou quatre mille tonnes. Finalement la Commission ne l’a pas accordé, je l’ai regretté. Elle a pris une précaution supplémentaire pour permettre au stock de se reconstituer complètement. J’espère que l’année prochaine, au 1er juillet, nous obtiendront un rétablissement, au moins partiel, de cette pêche. En attendant pour aider les pêcheurs concernés, je suis allé leur dire que nous allons les aider à passer cette période. Je crois à cette pêche, comme je crois à la pêche française. Je veux être le ministre d’une agriculture et d’une pêche durables.