La communication verrouillée de l'Elysée provoque des tensions avec la presse
Emmanuel Macron n'a jamais voulu être un président normal. Il a toujours expliqué qu'il voulait se situer au-dessus de la mêlée, se référant à la figure de Jupiter, le roi des dieux, avec pour modèles le général de Gaulle et François Mitterrand. Et en bon président jupitérien, il contrôle avant tout sa communication. Le président de la République ne s'expose donc aux objectifs des caméras et des appareils photo que pour proposer des images très calibrées et ne se laisse que très rarement prendre sur le vif.
Samedi, on l'a par exemple vu en boxeur ou en tennisman, debout ou en fauteuil roulant, pour promouvoir la candidature de Paris aux JO de 2024. Des images qui envoient un message clair:
"C’est de la pure communication, il a envie de donner l’image de ce président très jeune, dynamique, très en phase avec son temps", analyse Johan Hufnagel, le directeur de la rédaction de Libération, sur BFMTV.
Des photographes tenus à l'écart
Mais comme en témoignent plusieurs épisodes récents, cette volonté de verrouillage dans la communication élyséenne provoque des tensions avec la presse, qui s'inquiète des conséquences de cette stratégie. Le dernier épisode en date a eu lieu lors d'un événement qui avait tout pour bien se dérouler: jeudi, après le remaniement, la photo officielle du nouveau gouvernement a été prise dans les jardins de l'Elysée, par une belle journée ensoleillée.
Là aussi, tout était contrôlé, et seuls trois médias ont été autorisés au départ à photographier la séance: un magazine, une agence de presse et un quotidien. Sous François Hollande, la séance était ouverte à tous les photographes et elle avait même été filmée. Plusieurs photographes, priés de rester devant l'Elysée, ont donc protesté, avant d'être autorisés à entrer par Sibeth Ndiaye, en charge de la communication au Palais présidentiel, comme l'a notamment raconté Laurent Troude, qui travaille pour Libération.
"On s’est mis de dos et on criait "en grève". Sibeth Ndiaye est sortie pour savoir ce qu’il se passait. Elle a finalement autorisé tous les photographes à venir mais a refusé qu’on prenne de photos de la mise en place", a expliqué le photographe.
"On a dit non, mais quand on est arrivés ils étaient déjà positionnés, explique donc Laurent Troude. Mais quand ils ont commencé à se disperser, on a pris des photos. Sibeth Ndiaye s’est énervée."
Interdits de coulisses
Pour les photographes, les préparatifs et la fin de la séance étaient plus intéressants que la pose de ministres en elle-même. Pour la photo du premier gouvernement d'Edouard Philippe, prise dans l'escalier de l'entrée de l'Elysée, les photographes avaient là aussi été tenus à l'écart, dans la cour.
"On était surpris, on n’avait pas réagi, explique aujourd’hui Laurent Troude. La dernière fois, ils avaient expliqué que l’escalier était trop petit pour qu’on vienne. Cette fois, il n’y avait même pas d’excuse, pas d’argument. C’est quand même récurrent", poursuit Laurent Troude dans Libération.
Le même jour, lors du conseil des ministres, les journalistes ont quant à eux été priés de rester en dehors de l'Elysée, alors qu'ils sont habituellement dans la cour, pour immortaliser le bal des arrivées et des départs. Pour Ludovic Marin, rédacteur en chef du service photo de l'AFP président de la cellule de liaison entre Elysée et journalistes, la relation entre les médias et ce nouveau pouvoir est encore à définir.
"Aujourd’hui il y a une relation à construire. On ne se connaît pas très bien et c’est un apprentissage mutuel qu’on est en train de faire avec les équipes presse et communication du président Macron", explique-t-il sur BFMTV.
Des tensions dès le mois de mai
Les premières tensions sont apparues dès le mois de mai, en marge du déplacement du chef de l'Etat au Mali, duquel les journalistes politiques avaient été tenus à l'écart, au profit de leurs collègues en charge de thématiques liées au voyage présidentiel. Certains avaient directement été sollicités par l'Elysée. Depuis, l'entourage du président tente de rassurer la presse, Christophe Castaner ayant assuré après cet épisode que l'Elysée n'entendait pas "faire le travail des rédactions" et choisir les journalistes pour les déplacements.
Un mois plus tard, à la mi-juin, une vingtaine de société de journaliste avaient une nouvelle fois mise en garde l'Elysée, dénonçant dans un communiqué des "signaux extrêmement préoccupants". Le document évoquait en particulier le coup de fil de François Bayrou à Franceinfo, ou la plainte de Muriel Pénicaud après la publication dans la presse de documents sur la réforme du travail. A charge désormais, pour les successeurs de ces ex-ministres, de changer de méthodes.