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Gouvernement

Retraites: pourquoi le gouvernement n'est pas au bout de ses peines malgré le 49.3

L'Assemblée nationale. (Photo d'illustration)

L'Assemblée nationale. (Photo d'illustration) - BERTRAND GUAY / AFP

Députés LaREM surpris ou frustrés, concomitance avec l'épidémie de coronavirus, calendrier parlementaire toujours étriqué... Le gouvernement va devoir affronter des événements que l'adoption du texte sans vote à l'Assemblée nationale ne saurait faire disparaître.

Les répercussions n'auront pas tardé à se produire. "Ma permanence a été vandalisée pour la première fois par des manifestants anti-49.3", raconte la députée La République en marche Émilie Cariou. L'information avait été révélée par L'Est Républicain dimanche. "Ce sont des gilets jaunes", nous précise-elle. Le passage "en force" de la réforme des retraites à l'Assemblée nationale leur procure l'occasion d'un rappel au bon souvenir de la macronie.

Comme de nombreux collègues, Émilie Cariou est consciente que la décision d'Édouard Philippe d'engager la responsabilité de son gouvernement sur ce texte, du moins sur le projet de loi ordinaire, peut s'avérer lourde de conséquences. Dans les rangs de LaREM, la déception est grande et sur le terrain, les commentaires des électeurs risquent d'être acerbes.

Même les plus loyalistes, pour qui le recours au 49.3 n'est en rien une surprise, sortent frustrés d'une séquence où ils n'auront pu décortiquer qu'une infime partie de la réforme. 

"Le 49.3 n'est jamais agréable pour un parlementaire, mais 40.000 amendements ça ne l'est pas non plus", soupire Sophie Errante qui, en tant qu'ancienne députée socialiste, a connu les six fois où le controversé outil a été utilisé par Manuel Valls en 2015 et 2016. 

"On voulait un vrai débat"

S'ajoute, en l'espèce, le timing de l'annonce, faite à l'issue d'un Conseil des ministres extraordinaire consacré à l'épidémie de coronavirus Covid-19. "Cynisme", a dénoncé le patron des députés Les Républicains Damien Abad. Pour Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, le gouvernement a "profité subrepticement" de cette actualité pour faire passer le 49.3. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il qualifie le procédé de "fourbe, rustre et grossier". N'en jetez plus!

"De toute façon, quelle qu'aurait été l'occasion, on nous aurait reproché de brandir le 49.3 pendant qu'il pleut", raille une députée de la majorité. "La situation française est compliquée quoi qu'il arrive", tempère une autre, qui reconnaît tout de même que la tournure qu'ont pris les événements est "dramatique pour le parlementarisme". 

"On est tous déçus, on voulait un vrai débat sur ce texte", déplore à son tour Cendra Motin, rapporteure LaREM du projet de loi organique, volet plus technique et moins volumineux de la réforme. Prévu pour examen dans l'Hémicycle de mercredi à dimanche, il fait craindre à la majorité de se heurter au même problème qu'avec le projet de loi ordinaire. Et là, point de 49.3 possible. Avant d'aborder cette question néanmoins, il y a l'aveu d'échec que représente l'engagement de la responsabilité du gouvernement.

"C'est un événement mauvais qui ne nous valorise pas. On parle d'un texte qui, au préalable, n'a pas pu être discuté en commission", rappelle Sophie Errante.

Un texte "brut de pomme"

Noyée elle aussi sous les amendements de La France insoumise et du Parti communiste, la commission dédiée aux retraites a dû interrompre ses travaux le 12 février pour des questions de délais incompressibles. Résultat, c'est la version initiale du texte, celle du gouvernement, qui a été discutée durant 13 jours dans l'Hémicycle.

Pour éviter de repartir une fois de plus à zéro au Sénat, l'exécutif a incorporé près de 200 amendements de la majorité dans cette mouture passée au 49.3. Un texte "brut de pomme" passé au forceps aurait été "désastreux", souligne une parlementaire LaREM, qui rappelle que plusieurs dizaines d'amendements venant des oppositions (exceptés les insoumis) ont également été pris en compte. 

Le Sénat grand vainqueur

Malgré le recours du gouvernement à la procédure accélérée, les deux chambres auront chacune droit à une seconde lecture avant l'adoption finale à l'Assemblée nationale. Au palais du Luxembourg, les manœuvres commencent déjà pour tenter de retarder le premier examen sénatorial du projet de loi ordinaire. 

Comme l'ont révélé L'Opinion et Le Figaro, le président du Sénat Gérard Larcher a envoyé un courrier mercredi dernier demandant à Édouard Philippe l'abandon de la procédure accélérée. Une demande à laquelle n'agréera pas le Premier ministre, mais à laquelle il ajoute une requête: de reporter de deux semaines - du 20 avril au 4 mai - le début d'examen du texte. 

L'objectif affiché des sénateurs est de pouvoir entamer leur phase de discussions en ayant connaissance des préconisations de la conférence de financement, qui doit s'achever fin avril - si la totalité des syndicats n'en claque pas la porte avant. "On veut des chiffres, même sommaires, à notre disposition. Pour une loi à 340 milliards d'euros, ça ne paraît pas être de trop", abonde un sénateur centriste.

"L'idée, c'est de ne pas se faire chier en commission, mais plutôt de jouer sur des grands principes durant les débats dans l'Hémicycle, en tandem avec la majorité LR. Périodes de transition, familles, fonctionnaires, pénibilité... Quelques objectifs forts, sans entrer dans le détail de chaque article", poursuit ce poids lourds de la Chambre Haute. 

L'autre objectif est de permettre au Sénat d'être, à la fin des fins, la seule assemblée à avoir pu décortiquer in extenso le projet de loi ordinaire. Et dans un climat plus apaisé, laisse-t-on entendre, grâce à l'absence d'élus LFI. "Ce sera mieux organisé, sous la férule de notre président Gégé", s'amuse un sénateur, en référence à Gérard Larcher donc. À l'issue de la lecture sénatoriale, le texte reviendra au Palais-Bourbon, où Édouard Philippe aura tout loisir de dégainer à nouveau le 49.3. Idem pour l'adoption définitive. 

La loi organique reportée?

Si le gouvernement accepte de reporter les discussions au Sénat, cela veut dire que la commission mixte paritaire (au cours de laquelle des élus des deux chambres négocient pour voir s'ils peuvent se mettre d'accord sur une version unique du texte) aurait lieu entre les 20 et 25 mai. De quoi faire sérieusement douter de la capacité du gouvernement à pouvoir faire respecter son calendrier, à savoir une adoption définitive du projet de la loi ordinaire avant l'été. Surtout s'il doit y avoir, en l'espace d'un mois, une deuxième navette Assemblée-Sénat avant cet ultime vote des députés.

"Si Larcher et Retailleau (patron de la majorité LR au Sénat, NDLR) signent de leur sang qu'on fera une CMP conclusive, ça me va, mais je ne pense pas qu'ils soient en mesure de le garantir", se méfie Cendra Motin.

Le projet de loi organique, lui, risque de faire les frais des tactiques insoumises. Pour l'heure, 1400 amendements recevables ont été déposés pour ce texte qui ne comporte que 5 articles, qui touchent principalement à l'extension du périmètre des lois de financement de la Sécurité sociale.

"Les amendements LFI sont du même registre que pour le projet de loi ordinaire: du jugement de valeur vis-à-vis de LaREM et de la dérision", nous assure la députée de l'Isère. "Mercredi on y va, et si les insoumis déposent des sous-amendements par milliers, je dirai 'on arrête'", promet-elle.

"On arrête", ça veut dire laisser au gouvernement le droit de reporter la discussion du texte, si possible en "temps législatif programmé", ce qui suppose un vote de cette autre partie de la réforme... après l'été. "L'essentiel, c'est que les organes de gouvernance du futur système entrent en vigueur au 1er janvier 2021", tempère Sophie Errante. Autrement dit, un décalage du vote de la loi organique, qui traite aussi de la future retraite des parlementaires, n'aurait rien d'un drame. Tant qu'elle s'applique aux députés et sénateurs élus en 2022 puis 2023.

Jules Pecnard