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Présidentielle: comment Zemmour se sert de la Seine-Saint-Denis pour son discours politique

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Le polémiste a choisi la Seine-Saint-Denis pour être interrogé dans le second numéro de "La France dans les yeux", ce mercredi sur BFMTV. Pour le candidat à la présidentielle, ce département est emblématique des crises que vivrait la France.

La Seine-Saint-Denis serait à la fois une "enclave étrangère" et "l'avenir de notre pays". Dans La France n'a pas dit son dernier mot, son dernier ouvrage qui a lui servi de tremplin pour sa candidature à la présidentielle, Éric Zemmour décoche ses flèches contre ce département limitrophe de Paris. Mais son histoire personnelle - il est né à Montreuil et a vécu à Drancy - permet également au candidat de montrer un autre visage.

Si l'ancien journaliste du Figaro a choisi ce territoire pour être interrogé ce mercredi soir dans La France dans les yeux sur BFMTV, c'est d'abord parce qu'il serait "l'emblème de ce grand remplacement". Le président de Reconquête compare sa situation actuelle à celle du Kosovo, ravagé par la guerre dans les années 1990.

"La colonisation des âmes"

Le journaliste a l'habitude lors de ses interventions médiatiques d'égrener les chiffres qui démontreraient ce qu'il appelle le "grand remplacement" en cours. Les nouveaux-nés portant un prénom arabo-musulman sont passés de 15% des naissances en 1983 à 45% en 2016 en Seine-Saint-Denis, souligne par exemple une enquête publiée par la Fondation Jean-Jaurès en novembre 2021. Une situation qui justifie pour l'éditorialiste sa proposition d'interdire les prénoms "non-français" afin de contrer "la colonisation des âmes".

L'histoire du département raconte également en creux les fractures françaises contre lesquelles l'écrivain dit vouloir lutter. Entre 1968, en plein pendant les "Trente Glorieuses" qui poussent alors la France à recruter massivement de la main-d'œuvre étrangère et 2016 (les chiffres les plus récents de l'Insee), le département est passé du 9ème au 1er rang en proportion d'immigrés (hors Mayotte) parmi sa population.

L’Algérie, le Maroc et la Tunisie représentent, à eux seuls, le tiers des origines des Séquano-dionysiens immigrés, d'après le Conseil départemental.

Une présence d'immigrés qui fait dire au polémiste, dans son livre, que "la plupart des cafés sont réservés aux hommes par une loi non écrite mais appliquée avec rigueur, les femmes voilées, de plus en plus nombreuses". Il dénonce "le paysage urbain dévasté" avec notamment "le développement des commerces estampillés halal".

À l'opposé de la vision d'Emmanuel Macron qui, dans la revue Zadig, a présenté la Seine-Saint-Denis comme "le département le plus jeune de France, avec deux aéroports internationaux, le plus important stade sportif français et le plus grand nombre de créations de start-up par habitant". "Il ne manque que la mer pour faire la Californie", a même vanté l'actuel chef de l'État, pas encore officiellement candidat à sa réélection.

"À mille lieues des valeurs" du département

La description que fait Éric Zemmour de la Seine-Saint-Denis a outré les élus locaux, à commencer par Stéphane Troussel, le président du département. Le seul projet du candidat d'extrême droite "est de diviser les Français", a-t-il répliqué sur BFMTV lors de la parution de son dernier livre. "Moi je suis élu de ce département, j’ai 51 ans et je vis à la Courneuve depuis ma naissance. Ce qu’il dit ne correspond absolument pas à ce que je vis, ce que je connais. Ces clichés nous les affrontons au quotidien avec les outils de la République."

"Je n’ai pas de leçon à recevoir de quelqu’un qui est multi-condamné", a-t-il ensuite répondu début décembre sur RMC, après avoir été à l'initiative d'une pétition contre la tenue du premier meeting de campagne de l'ancien chroniqueur à Villepinte. "Le fossoyeur de la République, c’est lui", a encore jugé l'élu local.

Même son de cloche du côté du maire de Montreuil, qui a fait savoir qu'il ne souhaitait pas accueillir La France dans les yeux dans sa commune. "Peu d'entre nous le savent, Éric Zemmour est né à Montreuil", a écrit le communiste Patrick Bessac dans un communiqué.

"Cela peut apparaître surprenant, tant son discours se situe à mille lieues des valeurs humanistes que nous tentons d'incarner chaque jour dans notre commune. (...) Montreuil est une ville unique en son genre, fière de sa diversité, de sa jeunesse et de ses richesses."

Drancy, "ce paradis"

Au-delà du récit politique que l'écrivain veut raconter en s'appuyant sur la Seine-Saint-Denis, le candidat cherche aussi à défendre sa propre histoire. Un passage obligé alors que 77% des Français le jugent arrogant d'après un sondage réalisé par Elabe pour BFMTV et L'Express avec notre partenaire SFR début décembre.

Peu avant le début de la guerre d'Algérie, les parents d'Éric Zemmour quittent Alger pour s'installer à Montreuil. C'est là que naît le futur journaliste. Le polémiste passe ensuite son enfance à Drancy dans la résidence Louis Faidherbe.

"C’est étrange, on dirait que rien n’a changé. Pour moi la banlieue, c’était le paradis. J’ai des souvenirs merveilleux ici", a raconté le journaliste en 2018, visiblement ému, lors de son retour sur les traces de son enfance organisé pour une émission sur C8.

Partie de Monopoly dans les garages en face de la cité HLM, mini-golf dans le square du quartier, franche camaraderie... Le polémiste n'a qu'un seul regret: "avoir dû partir" pour emménager à Paris, tout en précisant qu'à l'époque, "évidemment, il n'y avait pas de femme voilée".

Cette phrase fera écho à une autre promenade dans les rues de Drancy, organisée trois ans plus tard, cette fois-ci à l'initiative de CNews. En octobre dernier, entre un échange avec un boucher halal et un jeune qui l'accuse "de ne pas connaître la ville et d'être haut placé dans la République", une séquence marque particulièrement les esprits.

Le presque candidat à la présidentielle échange avec une jeune femme qui porte le voile. Rapidement, l’ancien journaliste lui intime de le retirer: "Enlevez-le, si ce foulard n’a pas d’importance (...) et que vous êtes vraiment libre de le faire !" Réponse de l’habitante de Drancy: "Alors enlevez votre cravate dans ce cas-là !". L’une et l’autre finissent par s'exécuter. Pour Éric Zemmour, le retour sur la terre de son enfance permet aussi et surtout de parler d'immigration et d'islam, ses thématiques de prédilection durant la campagne.

Marie-Pierre Bourgeois