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Politique

Dans un climat "délétère", les juges en appellent à Hollande

Les magistrats dénoncent en particulier les propos du député UMP des Yvelines Henri Guaino, qui a déclaré que le juge Gentil avait « déshonoré la justice » et « sali la France ».

Les magistrats dénoncent en particulier les propos du député UMP des Yvelines Henri Guaino, qui a déclaré que le juge Gentil avait « déshonoré la justice » et « sali la France ». - -

Les magistrats français attendent de François Hollande une prise de parole forte, lors de son intervention télévisée de ce jeudi, pour mettre fin à des attaques qu'ils disent incessantes contre leur profession depuis la mise en examen de Nicolas Sarkozy.

Le juge Jean-Michel Gentil, à l'origine de la mise en examen de Nicolas Sarkozy dans l'affaire Bettencourt, a reçu mercredi un courrier contenant des menaces de mort et une cartouche à blanc. Des journalistes et le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel ont reçu des missives similaires. Pour les syndicats de magistrats, ces menaces sont la conséquence directe de mises en cause de la justice par des élus de droite, qui ont fait bloc autour de l'ancien chef de l'Etat, lequel s'estime scandaleusement traité par la justice.

« Guaino a ouvert le bal »

Les magistrats dénoncent en particulier les propos du député UMP des Yvelines Henri Guaino, qui a déclaré que le juge avait « déshonoré la justice » et « sali la France » en mettant Nicolas Sarkozy en examen pour « abus de faiblesse » à l'encontre de l'héritière de L'Oréal. Des propos qu'il a maintenus jeudi sur RMC, disant ne se sentir aucunement responsable des menaces reçues par le juge d'instruction bordelais. « C'est parce qu'on a de tels propos par des gens qui sont censés représenter les Français que des gens qui sont moins au fait de la justice se sentent autorisés à envoyer ces courriers », a dit Virginie Duval, secrétaire générale de l'Union syndicale des magistrats (USM), majoritaire. « C'est (Henri Guaino) qui a ouvert le bal et laissé penser qu'on pouvait insulter, injurier, menacer la justice ».

Un « climat de suspicion »

Une analyse partagée par le Syndicat de la magistrature, classé à gauche, et par certains élus socialistes. « Ces menaces de mort font écho au climat de suspicion à l'égard de l'institution judiciaire généré par les propos de certains dirigeants de l'UMP et en particulier par Monsieur Guaino », écrit ainsi dans un communiqué Yann Galut, député du Cher. Il demande au président de l'UMP Jean-François Copé de « rappeler sévèrement à l'ordre » les auteurs de « ces graves dérapages ». L'USM a envoyé mardi un courrier au président de la République, lui demandant de profiter de son intervention télévisée, prévue jeudi soir, pour « renforcer la confiance que nos compatriotes doivent avoir dans la justice de leur pays ». « Le mal est fait, mais ça serait un signal fort pour ramener un peu plus de sérénité », estime Virginie Duval. « S'il peut prendre position ce soir, ce sera nécessairement bienvenu », confirme Sophie Combes, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, indirectement visé par les menaces de mort adressées au juge Gentil.

Une conséquence du mandat de Sarkozy ?

La ministre de la Justice Christiane Taubira a saisi mercredi le Conseil supérieur de la magistrature d'un avis sur « les conséquences (...) sur le bon fonctionnement de l'institution judiciaire et sur la sérénité de la Justice » des propos récemment tenus sur l'instruction menée à Bordeaux. Le Conseil va se réunir « très prochainement » pour débattre de cette question, a indiqué mercredi son secrétaire général.
Depuis la mise en examen de Nicolas Sarkozy, les syndicats de magistrats disent avoir reçu de nombreux courriers et courriels d'insultes et de menaces. Plus de 50 000 messages attaquant l'impartialité de la justice ont été postés ces derniers jours sur la page Facebook de l'USM, indique un responsable. « C'est très récurrent à chaque fois qu'il y a des affaires sensibles », dit Virginie Duval. « Il suffit d'interventions médiatiques de personnalités politiques, et hop, on reçoit des insultes ». Pour Sophie Combes, qui dénonce un « climat délétère », « ce qu'on est en train de vivre, ça sent la fin des années du mandat de Nicolas Sarkozy ». Pour l'USM, cet épisode rappelle l'affaire dite de "Pornic". Nicolas Sarkozy, alors chef de l'Etat, avait mis en cause les magistrats dans l'absence de suivi du principal suspect du meurtre de la jeune Laëtitia Perrais en Loire-Atlantique, près de Pornic, s'attirant les foudres de la profession, qui avait reçu de nombreux messages de défiance et d'injures. « Quand c'était Pornic, c'était le pouvoir lui-même qui mettait en cause la justice », dit Virginie Duval. « Mais aujourd'hui, les conséquences sont aussi fortes et regrettables ».

J.V. avec Reuters