Violences sexuelles: la proposition de Darmanin sur les gardes à vue jugée "utile" mais insuffisante par des avocates

Gérald Darmanin, le 24 décembre 2024 - JULIEN DE ROSA / AFP
Gérald Darmanin souhaite étendre la durée de la garde à vue dans les cas de violences sexuelles aggravées et de féminicides, une proposition "utile" mais loin d'être à la hauteur de la prise en charge du fléau, selon des avocates spécialisées. Pour ces faits et crimes, le nouveau garde des Sceaux a annoncé jeudi 26 décembre son intention d'étendre la garde à vue des suspects de 48 heures à 72 heures.
"Ça permet de mettre en protection la femme qui a été menacée, violentée, agressée. Ça permet de faire les constatations de police technique et scientifique et ça permet d'interroger plus longuement la personne", a détaillé l'ancien ministre de l'Intérieur.
Cette proposition ne figure pas dans les 140 mesures demandées depuis novembre par une coalition d'une soixantaine d'organisations, notamment féministes et enfantistes, qui réclament une "loi cadre" globale, allant de l'éducation à la santé et la justice, "contre les violences sexuelles".
Plus de temps pour enquêter
Pour Me Isabelle Steyer, avocate spécialisée dans les violences faites aux femmes, elle serait toutefois "utile" pour permettre "des mesures d'investigation plus longues et complexes": "en 72 heures on peut avoir le résultat de l'autopsie", d'expertises psychiatriques, "on peut avoir le temps de faire des rapprochements d'ADN".
Les enquêteurs auraient aussi plus de temps pour entendre davantage de témoins. Les agresseurs sexuels ou conjoints violents s'en prennent souvent à des membres de leur famille, d'anciennes compagnes, des collègues, souligne Me Steyer.
"C'est important d'avoir des témoignages d'anciennes petites amies ou collègues, mais les gens ne peuvent pas toujours venir témoigner dans un délai de 48 heures", note cette avocate qui a fondé l'association Action juridique féministe, pour améliorer le parcours judiciaire des victimes. Par ailleurs, une garde à vue de 72 heures permettrait de préserver la qualité des récits des témoins car le suspect ne peut pas échanger avec eux.
Cela donnerait "des témoignages plus véridiques, non contaminés par ce qu'on a trouvé dans le dossier", souligne Me Steyer. "Une fois qu'il a accès au dossier, après sa garde à vue, le suspect sait ce que les témoins ont dit et peut réaménager sa propre version".
"Une goutte d'eau dans l'océan"
Un délai plus long permettrait aussi de mettre en lumière un "historique de violences": mains courantes, précédents classements sans suite, qui peuvent être longs à rassembler si les personnes concernées ont déménagé.
Toutefois, cette mesure "semble passer à côté des véritables enjeux" alors que peu d'hommes accusés sont placés en garde à vue, et que certains "ne sont même pas auditionnés", souligne Violaine de Filippis, avocate et autrice du livre "Classées sans suite". Pour Me Steyer, c'est aussi "une goutte d'eau dans l'océan".
"L'un des principaux obstacles rencontrés par les femmes qui déposent plainte réside dans la lenteur de l'ouverture des enquêtes et l'absence d'une liste d'investigations obligatoires", note Me de Filippis, cofondatrice de l'association Action juridique féministe.
Une justice "trop lente"
La grande majorité des affaires de violences sexuelles portées à la connaissance de la justice sont classées sans suite, le plus souvent pour infraction insuffisamment caractérisée: les faits n'ont pu être établis ou les éléments de preuves sont insuffisants. "Encore faudrait-il qu'on les cherche. Avant de s'interroger sur la durée de la garde à vue, il serait essentiel de garantir une ouverture rapide des enquêtes et de définir une liste précise d'actes d'investigation obligatoires", selon Me de Filippis.
Cette liste devrait inclure une enquête d'entourage, l'analyse des données téléphoniques et du matériel informatique, une expertise psychologique, ainsi que l'audition de la personne mise en cause.
Pour que les enquêtes progressent, il serait nécessaire de les confier, selon les féministes, à des personnes - magistrats, procureurs, policiers et gendarmes, experts - formées aux violences sexistes et sexuelles et motivées. Pour les avocates interrogées par l'AFP, "il n'y a pas assez de budget pour enquêter".
Gérald Darmanin a reconnu mercredi 25 décembre, lors d'un déplacement à Amiens, que la justice était "trop lente" et souhaité "plus de moyens pour une justice plus rapide".