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Violé par un prêtre dans son enfance, un pédocriminel indemnisé par l'Église

Illustration de la croix dominant une église.

Illustration de la croix dominant une église. - CLAUDIO REYES © 2019 AFP

Jean-Yves a été condamné à plusieurs reprises pour des actes pédocriminels. Aujourd'hui, l'Église reconnaît son statut de victime de violences sexuelles qu'il a subies de la part d'un prêtre pendant son adolescence, sans excuser ce qu'il a fait à l'âge adulte.

"Le comportement du prêtre et son emprise vous ont conduit à des actes de violences, à franchir des interdits", conclut l'Église. Pendant deux ans dans les années 60, Jean-Yves a été la proie de l'aumônier de son collège de l'Ain. 40 ans plus tard, c'était lui le prédateur. C'est ce lien de causalité, entre les violences passées et les abus sexuels sur mineur qu'il a commis, qui vient d'être reconnu par l'Église de France, dans une démarche qui passe par une réparation financière de 60.000 euros cet homme aujourd'hui âgé de 73 ans.

Le collège de l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) a reconnu au septuagénaire le statut de victime de violences sexuelles dans l'Église, dans une décision prise le 16 mai que BFMTV.com a pu consulter, confirmant les informations du Parisien.

"Les conséquences de ces violences ont été graves et durables", relève l'instance, dans ce courrier adressé à Jean-Yves. Ces abus ont "eu un retentissement psychologique" sur la "vie intime" du septuagénaire mais aussi sur ses "relations familiales" et sur son "épanouissement professionnel". Ce statut de victime, toutefois, "n'est jamais une excuse, encore moins un moyen de déresponsabiliser la personne", prévient Marie Derain de Vaucresson, la présidente de l'Inirr.

Violé entre ses 12 et 15 ans

Jean-Yves n'a que 12 ans quand il subit les premiers assauts du prêtre. En 1963, le père Felix Hutin est responsable du patronage au sein du lycée Lalande à Bourg-en-Bresse. En l'absence de cellule familiale, entre un père absent et une grand-mère qui vient de décéder, le collégien y a été envoyé en internat. Il devient rapidement la proie de l'homme d'Église. "Tout était réuni pour qu'il le devienne", souffle un connaisseur du dossier. Chaque semaine, pendant deux ans, il doit se rendre dans la chambre du prêtre. Chaque semaine, ce dernier le viole. Il lui proposera aussi des rencontres avec d'autres adolescents, ce qu'il refusera mais qui sera qualifié, plus tard, de tentatives de viol en réunion.

En 1965, Jean-Yves a 15 ans. Le père Hutin est transféré dans un autre établissement mais les contacts entre l'adolescent et le prêtre perdurent - ce que les spécialistes appelleront plus tard le sentiment d'emprise.

Les années passent, l'adolescent devenu adulte s'engage dans l'armée, puis la police. Ses désirs, ses penchants pédocriminels sont réprimés.

"Il a voulu se construire une vie d'après, avec une femme et des enfants, tout en étant attiré par les adolescents", décrit Me Emmanuel Ludot, l'avocat de Jean-Yves. "Il avait une vie officielle et une vie cachée".

Condamné à cinq reprises

Mais en 1985, Jean-Yves est condamné une première fois. Puis une seconde fois. "Il a eu une vie difficile, il était fiché délinquant sexuel, il était sans arrêt contrôlé, sa vie professionnelle en a pâti", relève Me Ludot. Il vit aussi la séparation avec sa femme, ses enfants. Il n'a jamais vu ses petits-enfants. Il vit dans la marginalité. En 2004, la justice le condamne à 10 ans de prison pour une agression sexuelle sur une fillette de 6 ans. Son cinquième jugement. Le tribunal prononce également une injonction de soins.

Depuis 20 ans, Jean-Yves est suivi par la même psychologue. C'est cette professionnelle qui met en évidence le lien de causalité entre les violences subies pendant l'enfance et les violences commises à l'âge adulte. En parallèle, Jean-Yves tente d'obtenir réparation auprès de la justice. En 2001, il porte plainte, mais les faits sont jugés prescrits. Sur le plan pénal, il ne pourra rien obtenir.

Son avocat attaque sur le plan civil, d'autant qu'en 2002, dans le cadre de l'enquête ouverte à la suite de la plainte de Jean-Yves, le père Hutin a reconnu devant les gendarmes avoir abusé sexuellement de lui. Il nie les viols. Me Ludot développe ses arguments devant le tribunal: la prescription doit débuter quand l'état de la victime est consolidé, c'est-à-dire qu'il ne va plus évoluer. Or Jean-Yves, en 2015, est toujours suivi par un psychothérapeute, son travail est toujours en cours.

De la justice, il obtiendra un euro de dommages et intérêts, ce qu'il avait réclamé, mais surtout un statut de victime. Il s'engage alors dans une nouvelle bataille, celle pour obtenir le dossier du prêtre auprès du diocèse. L'homme avait été envoyé dès les années 1970 en Suisse au sein de la mission permanente du Saint-Siège auprès de l'ONU. Avant sa mort en 2022, le prêtre avait dû faire pénitence dans le cadre d'une décision prise par l'évêché en raison de ces abus sexuels reconnus.

"Décision courageuse" de l'Eglise

Jean-Yves s'est aussi tourné vers l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation, lancée fin 2021 à la suite de la remise du rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l'Église, avec pour mission de reconnaître les violences et les réparer. Le collège ne statue que sur des faits prescrits. Au terme de vérification "de vraisemblance" des déclarations des victimes auprès des diocèses et en parallèle d'un accompagnement par des référents spécialisés dans les psychotraumatismes, le collège de l'Inirr a examiné les 400 pages du dossier constitué par le retraité. Beaucoup de discussions ont eu lieu autour du cas de Jean-Yves.

"Dans notre démarche de reconnaissance et de réparation très particulière, il s'agit de prendre en compte une personne victime de violences sexuelles pendant l'enfance, détaille Marie Derain de Vaucresson. Dans ce cas présent, c'est une réalité largement étayée. Ce qui a été travaillé avec sa référente, c'est que ce qu'il a vécu dans son enfance n'excuse pas ce qu'il a fait à l'âge adulte."

Prenant pour critères, "la gravité des faits", les "conséquences de ces faits" et les "manquements de l'Eglise", selon l'Inirr contactée par BFMTV.com, mais aussi le travail engagé par la personne, le collège a ainsi décidé d'indemniser Jean-Yves à hauteur de 60.000 euros au titre de réparation pour les abus dont il a été victime.

Une indemnisation dans la fourchette haute du barème de l'instance, qui, depuis sa création, a accompagné 969 personnes et en a indemnisé 679 - en moyenne à hauteur de 30.000 euros. "Une décision courageuse", selon Me Ludot qui salue "le travail de transparence de l'Eglise". Le cas de Jean-Yves n'est pas le premier qui arrive entre les mains de l'Inirr, mais ses condamnations sont les plus lourdes. "De nombreuses personnes victimes évoquent la peur de reproduire ces violences avec les référents de l’inirr, c’est une question travaillée", note la présidente de l'Inirr.

"L'instance a été sensible à la souffrance de la victime, mais mon client reste en colère", note l'avocat. "Il se dit que ça ne lui rendra pas sa vie, pas sa famille."

Jean-Yves souhaite que cet argent soit versé à ses petits-enfants. Des petits-enfants que l'homme de 73 ans souhaite un jour rencontrer.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV