Val-d'Oise: un imam condamné à 18 mois de prison pour apologie du terrorisme sur TikTok

Luqman Heider, le 12 novembre 2020, au tribunal judiciaire de Pontoise. - BENOIT PEYRUCQ
Le tribunal judiciaire de Pontoise a été animé ce jeudi par le "caractère nauséabond des propos" de Luqman Haider dans "le contexte traumatique que connaît la France" en matière de terrorisme islamiste. Le prévenu, un Pakistanais de 33 ans, a été condamné à 18 mois de prison et à une interdiction définitive du territoire français pour apologie du terrorisme après avoir posté, entre le 9 et le 25 septembre, trois vidéos sur le réseau social TikTok. Il a été reconnu coupable pour deux de ces vidéos.
Dans ce triptyque numérique, l’homme félicitait notamment l’auteur de l’attaque à la machette qui a eu lieu le 25 septembre devant les anciens locaux de Charlie Hebdo. Selon ses dires, l'assaillant était un "brave connu dans tous le Pakistan" ayant gagné "un statut", "un honneur grâce au prophète".
"En cas de blasphème et d’absence de musulmans sur un territoire, Dieu envoie des animaux pour attaquer les mécréants et les non-musulmans et les envoyer en enfer", prophétisait-il dans une autre vidéo du 10 septembre.
"Premier face-à-face avec la justice"
Face au rappel des faits que sa traductrice lui rapporte dans sa langue natale, l’Ourdou, Luqman Haider se tient calme et attentif. Le Pakistanais est arrivé dans l'Hexagone en 2015 après un tumultueux périple, long de quatre ans. La France – et plus précisément Paris - était son objectif pour "fuir la pauvreté" de son pays d’origine. Il a finalement atterri à Villiers-le-Bel où réside "une importante communauté pakistanaise", explique-t-il à la Cour.
Il se crée des affinités avec les habitants de cette ville du Val-d’Oise, travaille dans un restaurant, intervient ponctuellement comme imam à la mosquée Quba et donne des cours de Coran aux enfants. A partir de 2018, il est logé dans un appartement qui appartient au lieu de culte.
Luqman Haider dit se sentir bien dans ce pays. Il a d’ailleurs déposé des demandes d’asile à plusieurs reprises, mais toutes ont été rejetées et l’homme fait désormais l’objet d’une obligation de quitter le territoire. Ce jeudi, il glisse timidement qu'il s'agit de son "premier face-à-face avec la justice". Depuis près de deux mois, il est en détention provisoire pour le contenu de vidéos qu’il ne s’explique toujours pas.
D’après le responsable de la mosquée, Luqman Haider n’a "jamais eu de propos problématiques ou polémiques". Le prévenu affirme même pratiquer un islam pacifiste qui se réclame du soufisme.
"Ce courant de pensée nous apprend à respecter toutes les religions, à vivre en paix et à ne pas dire ou faire du mal aux autres", raconte-t-il sous son masque qui ne parvient pas à couvrir l’intégralité de sa barbe très fournie.
"C’était pour faire le buzz"
Le président de la cour reste circonspect quant à ces explications. "Ce que vous dites dans vos vidéos est bien différent du message d’amour et de paix que vous nous présentez. A quoi avez-vous pensé pour dire des choses pareilles?", l’interroge-t-il. Luqman Haider tourne autour du pot, le président tente de le recadrer:
"Comment quelqu’un qui prétend vouloir s’intégrer, en sachant le traumatisme de la France, peut avoir de tels propos?"
S’il ne s’étale pas sur les paroles qu’il a eues, le trentenaire assure les condamner. "C’était pour faire le buzz, pour amasser les likes et avoir plus de followers. J’ai voulu faire comme les autres", répète-t-il sans cesse.
"Comme quels autres?", rebondit le président de la cour, étonné. "Vous allez ramasser tout ce que le secteur compte de radicalisés. C’est ça qui vous intéresse?"
"J’ai dérapé. Je n’arrive pas à trouver les bons mots mais je présente mes excuses. D’ailleurs, sur les conseils d’un ami j’ai posté une autre vidéo le 30 septembre où je condamne mes propos et soutiens que je n’aurais jamais dû dire ça", déroule Luqman Haider. "Il condamne les actes terroristes et ceux qui les commettent", souligne la défense, à la rescousse de son client très taiseux.
Des messages "de haine inacceptables"
Un argumentaire loin de satisfaire le procureur de la République qui juge "inacceptable qu’un individu puisse évoquer avec une telle haine ces faits-là".
Et d’ajouter: "Depuis l’attentat contre Samuel Paty, on observe de nombreuses affaires de jeunes – dont des mineurs isolés du Pakistan - qui revendiquent cet attentat. C’est peut-être une coïncidence mais il est intéressant de noter que ces messages haineux ont une réelle résonnance sur notre territoire."
"Il n’est pas poursuivi pour une infraction de provocation à la haine ni à un acte de terrorisme", contrecarre à la barre Me Xavier Nogueras, avocat de Luqman Haider. Il précise par ailleurs que son client n'a jamais fait les louanges de l’attentat en lui-même mais de son auteur, l’un de ses compatriotes pakistanais, "dont il ne partage pas l’idéologie radicale".
"Lors de la perquisition, on ne retrouve rien, pas un livre qui ferait l’éloge du terrorisme, du jihadisme", souligne-t-il pour accréditer la pratique d’un islam modéré par le prévenu.
Mais après plus de quatre heures de débats, le président a estimé que les faits reprochés à Luqman Haider étaient "incompatibles avec les valeurs de la République. Dans ce contexte, la République ne peut vous garder sur son territoire", a-t-il conclu en assénant les 18 mois d'emprisonnement avec mandat de dépôt.