BFMTV
Police-Justice

"Je revis": un jeune homme de 18 ans fait condamner ses parents pour homophobie dans la Somme

Le tribunal d'Amiens (Photo d'illustration).

Le tribunal d'Amiens (Photo d'illustration). - Flickr - CC Commons - Julien

Les parents de Lucas, 18 ans, ont été condamnés pour violences et insultes homophobes à l'égard de leur enfant à huit et dix mois de prison avec sursis le vendred 4 octobre par le tribunal correctionnel d'Amiens.

Doucement, la boule agrippée au ventre de Lucas se dissipe. Le vendredi 4 octobre, ses deux parents ont été condamnés à des peines de huit et dix mois de prison avec sursis pour violences et insultes homophobes à son encontre par le tribunal correctionnel d’Amiens.

"Ça m'a soulagé. Après l'audience, j'ai réalisé que j'étais bien la victime", confie Lucas, 18 ans, auprès de BFMTV.com. "J'ai toujours été efféminé, dès mon plus jeune âge, et j’ai rapidement reçu des remarques de leur part."

Lucas, alors âgé de 17 ans, s’affirme. L’année dernière, le jeune homme se maquille pour se rendre à l’école où il étudie la coiffure. Un plaisir simple, en apparence. "Je me maquillais avant de partir quand mes parents dormaient et je me démaquillais avant le retour à la maison", explique Lucas. "Puis, ils ont commencé à se poser des questions."

Le 10 novembre 2023, une sortie familiale au cinéma se prépare. "Mon père qui suspectait que je me maquille a dit: 'je n’irais pas avec cette pédale au cinéma' à ma sœur", confie Lucas, très proche de la petite dernière de la fratrie de trois enfants avant que son histoire ne prenne une dimension judiciaire.

La sortie est avortée. Une discussion éclate avec sa mère. "Je lui ai dit que j’étais gay. J’avais une boule au ventre. Quand elle l'a su, elle s’est effondrée", explique Lucas qui subit une série de questions les jours suivants.

"Je lui ai dit de dégager"

"Elle a voulu que je le dise à mon père. C’était impossible pour moi de lui dire en face." Lucas se saisit alors d’un morceau de papier. "Dans cette lettre, je lui écris que mes choix sont différents des choix qu’il voulait pour moi."

La réponse, violente, se fera par SMS: "excuse-moi si je vais être cru avec toi. Pour ma part, tu connais ma réaction, tu fais ce que tu veux avec ton cul mais ton gay, tu ne le ramènes pas à la maison".

En janvier 2024, Lucas est privé de maquillage. "Ils me l'ont pris et après ils me fouillaient quand je quittais le domicile", confie-t-il. Une "fouille corporelle" précise Me Stéphanie Lourdel-Iglesias, son avocate. "Puis j'en ai eu marre. Un jour, j’ai pris la main de ma mère et je lui ai dit de dégager", poursuit le jeune homme. Le père de Lucas surgit alors. "Il m'a attrapé par le cou et m'a collé au mur, le bras droit contre mon cou", souffle Lucas qui explique subir ponctuellement des insultes homophobes.

[INÉDIT] Quentin: victime d’une violente agression homophobe
[INÉDIT] Quentin: victime d’une violente agression homophobe
17:41

L’orientation sexuelle de Lucas dérange ses parents. Ils ne s’en cachent pas ou mal. "J'ai surpris une discussion quand j'étais dans les escaliers. Une pub sur le VIH était diffusée à la télévision. Ma mère a répliqué: 'c’est bientôt ce qui va lui arriver à l’autre PD'", se remémore le jeune majeur.

Rongé par la tristesse, la peur, l’insomnie et la perte d'appétit, Lucas partage timidement son histoire à ses camarades. Des professeurs entendent l’inaudible. Un signalement est effectué. "Ils m'ont dit que c'était grave", explique-t-il. Lucas rencontre une assistante sociale et dépose plainte. Le dimanche 14 avril, les gendarmes se présentent au domicile familial. "J’ai eu tellement peur que je suis monté dans ma chambre", rapporte Lucas. "J’ai entendu qu’ils allaient être auditionnés."

Le mardi d’après, le jeune homme se réveille dans une maison vide et calme. À son retour après une journée de travail, Lucas tombe sur ses parents de retour du commissariat. Le calvaire prend fin. Il part le soir même vivre chez sa tante désignée tiers digne de confiance.

Il retrouve ses parents au tribunal correctionnel d’Amiens en octobre 2024. "Ils n’ont pas compris pourquoi ils étaient là. Ils n’ont eu aucun mot, aucune excuse, aucun regard", regrette Me Stéphanie Lourdel-Iglesias, avocate de Lucas. "C’est un enfant qui ne pose pas de difficulté. Il est gentil, très poli, bien élevé", ajoute-t-elle.

De son côté, David Dalmaz, l’avocat de la défense, dénonce "une sanction qui n’est pas pédagogique et assez dure pour des personnes qui ont reconnu tout de suite leurs propos homophobes" auprès de France 3 Hauts-de-France. "Le tribunal n’a pas compris la difficulté pour un parent d’apprendre que son enfant est homosexuel, se travestit."

"Je n'ai plus de parent"

Depuis une semaine, Lucas vit seul. "Je revis" et "je n’ai plus de parent", souffle-t-il. Le jeune adulte, suivi psychologiquement, reprend des études dans la vente. "J’ai arrêté la coiffure. J’ai perdu confiance en moi avec leurs réflexions."

Preuve de sa force, Lucas se dit que cette branche lui correspond sans doute plus. "Avec du recul, je me rends compte que j’étais plus à l’aise à parler avec les clientes du salon de coiffure", rapporte-t-il. Aujourd’hui, Lucas s’adresse aux victimes de violences et insultes homophobes: "il faut qu’ils sachent qu’ils ne sont pas seuls et qu’une personne peut les écouter."

Les parents de Lucas disposent de dix jours pour faire appel de la décision.

Charlotte Lesage