Scandale des dons de corps à la science: un rapport conclut à "de graves manquements éthiques"

Rassemblement du collectif des Proches des victimes du charnier de Descartes, le 27 février 2020, devant la faculté de médecine de Paris. - Esther Paolini
Un "charnier" dans le "temple" de l’anatomie française. Après rétropédalage du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a finalement rendu public ce samedi une synthèse de son rapport sur la situation, dramatique, du Centre du Don des Corps (CDC) de l’université Paris Descartes. L'institution est fermée depuis des révélations de L'Express sur les conditions indignes dans lesquelles étaient préservés les dépouilles.
Le constat, dressé au terme de quatre mois d’enquête, est sans appel: "De graves manquements éthiques ont perduré pendant plusieurs années dans une de nos plus prestigieuses facultés."
Des "alertes" dès 2012
Après la parution de l'enquête de L’Express, l’Igas s’est entretenu avec les salariés du centre et les principaux responsables. Elle s’est également rendu dans les locaux du centre des Saint-Pères, situés en plein cœur du quartier de Saint-Germain-des-Prés. "La présence de rongeurs, de corps en décomposition, de ‘charnier’ dans la chambre froide négative où s’accumulent les têtes", est attestée dès 2012, conclut la mission, d’après le document consulté par BFMTV.com. Pourtant, aucune action n'est engagée avant 2018 pour endiguer cette situation désastreuse.
"Les alertes ont été parfois entendues, mais jamais à la hauteur de ce qu’elles portaient. Personne n’a vraiment su écouter, au moins jusqu’en 2018", déplore la synthèse de l'Igas.
Le président de l’université de l’époque, Frédéric Dardel, devenu conseiller auprès de la ministre Frédérique Vidal avant d’être démis de ses fonctions ce vendredi, est également pointé du doigt. "Les responsables au sein du CDC ou de l’université n’ont pas agi parce qu’ils n’ont pas mesuré la gravité des faits", juge l'Igas, insistant sur le fait que les graves manquements éthiques sont aussi le résultat de "problèmes de management".
Pas de "marchandisation" des corps
La mission conteste en revanche la question de "marchandisation" des corps évoquée par L’Express. "L’université a bien établi et fait voter des tarifs de 'sujets' et de 'pièces anatomiques', mais il ne s’agit pas du prix d’un corps ou d’une partie de corps", insiste l'Igas.
"Il s’agit de faire payer une contribution aux frais que représentent la conservation et la préparation de ces corps. Ceux-ci ne sont en aucun cas vendus ou cédés aux intervenants, mais mis à leur disposition le temps de leur intervention, tout en restant à tout instant sous la responsabilité du CDC."
Cependant, la mission conclut que "la responsabilité de l’université" peut être engagée concernant "le fait que des usagers, en aval, aient pu déployer une activité lucrative au sein du CDC, par les conditions financières dans lesquelles ils faisaient payer les prestations assurées à partir des corps mis à disposition". Une activité, qui avance t-elle, "peut être considérée comme illégale".
Donner un cadre éthique national
Pour l’heure, une fermeture définitive du centre n’apparaît pas souhaitable à l'Igas. "Il faudrait refuser de nombreux dons, donnant ainsi un coup de frein très fort au don du corps, déjà fragilisé par la polémique actuelle." Mais avant d'envisager une réouverture, "une sécurisation des conditions de conservation des corps dans les chambres froides" semble prioritaire, insiste la synthèse: "Cela signifie un délai minimal de six mois avant une réouverture effective du centre."
Enfin, il est urgent, note l’Igas, "de donner un cadre éthique national au don du corps à la science", qui pourrait se faire par le projet de loi de bioéthique actuellement en discussion au Parlement. Aujourd'hui, 67 familles ont déposé plainte pour "atteinte au respect dû aux morts" auprès du pôle santé du parquet de Paris. Pourtant, aucune information judiciaire n'a encore été ouverte.