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Police-Justice

Retour en force des affaires et des juges d'instruction

Condamnés à disparaître en 2009 par Nicolas Sarkozy, les juges d'instruction ont fait en 2010 un retour en force en développant des enquêtes menaçantes pour l'Elysée qui ont remis la justice au centre du débat. /Photo d'archives/REUTERS

Condamnés à disparaître en 2009 par Nicolas Sarkozy, les juges d'instruction ont fait en 2010 un retour en force en développant des enquêtes menaçantes pour l'Elysée qui ont remis la justice au centre du débat. /Photo d'archives/REUTERS - -

par Thierry Lévêque PARIS (Reuters) - Condamnés à disparaître en 2009 par Nicolas Sarkozy, les juges d'instruction ont fait en 2010 un retour en...

par Thierry Lévêque

PARIS (Reuters) - Condamnés à disparaître en 2009 par Nicolas Sarkozy, les juges d'instruction ont fait en 2010 un retour en force en développant des enquêtes menaçantes pour l'Elysée qui ont remis la justice au centre du débat.

C'est le dossier visant l'héritière de L'Oréal Liliane Bettencourt qui a surtout perturbé l'agenda judiciaire de l'exécutif, du fait des ennuis du procureur de Nanterre (Hauts-de-Seine) Philippe Courroye, un proche du chef de l'Etat.

Après des mois de critiques de la gauche et des syndicats de magistrats, qui jugeaient son enquête biaisée et complaisante pour le pouvoir, Philippe Courroye a été contraint de passer la main, sous la pression de sa hiérarchie, et de laisser le dossier à des juges d'instruction indépendants.

Même si le motif immédiat de cette mesure était une querelle publique avec la présidente du tribunal correctionnel de Nanterre Isabelle Prévost-Desprez, les syndicats de magistrats ont vu dans l'échec du procureur un symbole.

"On fait appel à nous, c'est donc bien qu'on est utiles. Il y aura un regard neuf et indépendant sur ce dossier", a dit Marc Trévidic, président de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI). Le dossier Bettencourt sera instruit à Bordeaux, où la Cour de cassation l'a transféré.

A partir de début 2011, des juges indépendants vont reprendre l'enquête sur les soupçons de trafic d'influence pesant sur l'ex-ministre UMP du Travail Eric Woerth. L'Elysée est indirectement concerné puisqu'un financement illicite de la campagne Sarkozy en 2007 est allégué.

LES JUGES VAINQUEURS AUSSI POUR KARACHI ?

L'affrontement entre les procureurs - nommés directement sur décret du chef de l'Etat et qui reçoivent des instructions du ministère de la Justice - et les juges indépendants par leur statut, a aussi tourné à l'avantage des seconds dans l'autre affaire emblématique, qui concerne l'attentat de Karachi.

Marc Trévidic, juge d'instruction antiterroriste, a mis au jour, derrière cet attentat qui a coûté la vie à 11 Français en 2002 au Pakistan, une possible affaire de corruption pendant la présidentielle de 1995 au profit du camp d'Edouard Balladur, dont Nicolas Sarkozy fut le porte-parole de campagne.

Un autre juge emblématique, Renaud Van Ruymbeke, a développé l'instruction sur la bataille entre chiraquiens et balladuriens qui pourrait être à l'origine de l'attentat. Le parquet s'oppose à l'extension de sa saisine pour corruption et la cour d'appel doit examiner ce litige le 10 janvier.

L'affaire menace Nicolas Sarkozy, cité dans le dossier concernant le versement de certaines commissions au Luxembourg.

Ce changement de climat dans les "affaires", qui avaient plutôt été mises sous l'éteignoir depuis 2007, s'est traduit par un changement d'agenda politique.

Nicolas Sarkozy a abandonné de facto pour la fin de son mandat la mise en oeuvre de la réforme de la procédure qui devait confier aux procureurs, liés au pouvoir exécutif, la direction des enquêtes conduites par les juges d'instruction.

Ce projet a fait place à celui d'introduire des jurés populaires aux côtés des magistrats professionnels dans les tribunaux correctionnels, qui jugent les délits, et peut-être dans les tribunaux d'application des peines.

Mais le monde judiciaire, qui avait manifesté le 9 mars contre le projet de la réforme de la procédure et le manque de moyens, se montre réticent et penche pour plus d'indépendance.

La Conférence des procureurs, après une décision de la Cour européenne des droits de l'homme dénonçant la dépendance du parquet français au pouvoir exécutif, a demandé en décembre une réforme du mode de nomination des procureurs.

Pendant ces débats, la misère de la justice française a été remise en évidence par le Conseil de l'Europe qui a classé la France au 37e rang continental pour son effort budgétaire et par l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire).

Ce syndicat a publié un insolite compte-rendu d'un tour de France des juridictions, égrenant les carreaux cassés, ordinateurs défaillants, locaux délabrés et postes non pourvus.

Pour l'USM, au-delà des "affaires", la justice est plongée dans une "profonde crise morale, financière et juridique".

Edité par Yves Clarisse