Repos mérité ou mort sociale, la retraite change la vie

par Elizabeth Pineau
PARIS (Reuters) - Droit inaliénable, repos bien mérité, moment pour soi ou mort sociale, la retraite revient sous les projecteurs en France à la faveur d'une réforme qui sera présentée dans les prochains jours.
Objet de joutes politico-syndicales et de sondages quotidiens, elle correspond à une période bien spécifique, espérée le plus souvent, redoutée parfois, de la vie du salarié.
Dans le dictionnaire, le mot "retraite" est lié à ceux de "repos" et de "solitude". On parle de "retrait de la vie active ou mondaine", mais aussi d'"éloignement", voire d'"abandon du champ de bataille".
Logiquement, le rapport à la retraite d'un salarié est lié à son emploi antérieur. Difficile de comparer la situation d'une caissière de supermarché et celle d'un professeur d'université.
Pour la plupart des Français, retraite égale repos.
"'J'ai travaillé, j'y ai droit et ça va me permettre de m'occuper de ma famille', c'est ce qu'on entend le plus souvent", note Louis Chauvel, professeur de sociologie à l'Institut de sciences politiques (IEP) à Paris".
"Le calendrier de vie des trentenaires et quadragénaires est tel que, dès l'âge de 50 ans, ils attendent le moment de claquer la porte de leur boulot et d'en finir définitivement avec un stress épouvantable", ajoute-t-il.
Pour "la grande majorité - ouvriers, employés ni très diplômés, ni bien rémunérés, sans responsabilités élevées - la retraite, c'est le moment où l'on va souffler", renchérit Bruno Palier, du Centre national de recherche scientifique (CNRS).
ACTIVITÉS
L'idée est de "réaliser les activités qu'on n'avait pas le temps de développer quand on travaillait : associations, voyages, activités culturelles, sportives, artistiques et de consacrer du temps à sa famille, ses petits-enfants ou ses parents en situation de dépendance", ajoute le chercheur.
Aux salariés "qui subissent" s'oppose une minorité travailleurs "par vocation", pour qui la retraite est synonyme de mort sociale.
"Pour ceux qui ont le sentiment de s'épanouir dans le travail, de le posséder, de définir les tâches, d'avoir une rétribution, la retraite signe la fin d'une identité professionnelle, la solitude, le vide", résume Bruno Palier.
On retrouve dans ce deuxième groupe entrepreneurs, intellectuels, professions libérales, décideurs et hommes politiques, auteurs de la réforme compris.
"Ces gens ont peur de la retraite car il s'épanouissent dans le travail, même si c'est très dur", dit Bruno Palier. "La politique est un métier de chien, mais ce sont des gens qui ont du pouvoir, reconnus, dont le nom est attaché à du faire".
D'où la difficulté pour ces derniers, dit le chercheur, de comprendre "la vie de quelqu'un qui se lève à quatre heures du matin, qui fait des ménages et rentre à onze heures le soir".
Contraint ou souhaité, le départ à la retraite - à 60 ans aujourd'hui, sans doute plus tard demain - est toujours un moment de remise en question.
CHÈQUE À NOËL
"Une fois la fête des adieux terminée, les cadeaux déballés, et quelques larmes essuyées, on rentre chez soi, déshabillé de son statut de travailleur (...), inutile à la société, malgré un immense capital d'expériences et de compétences à offrir et riche aussi d'un nouveau capital temps à combler", écrit Marie-Paule Dessaint dans son "Guide de la retraite heureuse".
Les jeunes retraités sont souvent très actifs dans les syndicats et les associations.
"Ils s'occupent aussi de leurs parents dépendants, ils gardent leurs petits-enfants et font un chèque à Noël", rappelle Bruno Palier, qui trouve anormal que l'on compte sur eux pour des tâches que l'Etat devrait assurer de manière égalitaire.
Issue d'une génération du "baby-boom" favorisée par l'histoire, le retraité de 2010 bénéficie en général d'une situation enviable.
"Ils ne sont jamais allés aussi souvent en vacances, alors que les 30-40 ans ont vu leur taux de départ reculer", souligne Louis Chauvel. "Les jeunes seniors sont également devenus les principaux acheteurs d'automobiles neuves, les jeunes recyclant celle de leurs parents".
L'universitaire note d'ailleurs un problème de perception par l'opinion de la véritable situation des retraités.
"Dans les années 1970, les personnes âgées étaient considérées comme pauvres, aujourd'hui les pauvres ce sont les jeunes", dit-il.
"C'est le paradoxe : on continue de se représenter la retraite comme un moment où la vie est chiche alors que tous les chiffres disent le contraire".
Edité par Yves Clarisse