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"C'est une héroïne": comment Gisèle Pelicot est devenue un symbole de la lutte contre les violences sexuelles
"Grâce à la résilience, ces femmes poussent au changement." Ce critère est celui de la BBC, qui début décembre, a intégré Gisèle Pelicot dans son classement des 100 personnalités féminines de l'année, tout comme l'hebdomadaire britannique The New European.
"En renonçant à son droit à l'anonymat et en permettant que son histoire soit diffusée dans le monde entier, Gisèle Pelicot est devenue un symbole de courage et de résilience", salue la BBC.
Quelques jours plus tôt, le visage de la septuagénaire apparaissait en couverture de la version allemande du magazine Vogue, accompagné du titre "no more shame" - "fini la honte". Et dans les rues d'Avignon, de Paris, de Lille ou de Chantilly, le portrait de Gisèle Pelicot s'affiche en version street-art, à l'initiative d'artistes féminines engagées.

"Un regain d'énergie"
Celle dont on ne connaissait ni le nom, ni les traits avant le 2 septembre, est devenue en quelques semaines le symbole de la lutte contre les violences sexuelles et plus largement contre les violences faites aux femmes.
"Au quotidien, je constate que les femmes que je défends parlent beaucoup d’elle, de ce procès", explique à BFMTV.com Me Anne Bouillon, avocate spécialiste des dossiers de violences sexuelles et sexistes et auteure du livre Affaires de femmes - Une vie à plaider pour elles. "Je constate aussi des changements pour moi, pour l’exercice de mon métier."
"Même si je n’ai jamais baissé les bras, j’ai un regain d’élan, ça me redonne de l’énergie, la volonté d’aller plus loin dans ce combat", assure-t-elle.
Le 2 septembre 2024, le procès dit des viols de Mazan s'ouvre. Entourée de ses trois enfants, Gisèle Pelicot est photographiée, lunettes fumées sur le visage. Jusqu'alors, elle n'était connue que sous des pseudonymes, ou comme la femme qui avait été droguée, violée par son mari pour la livrer à des inconnus.
Mais cette femme a un visage et une voix qu'elle va vouloir faire entendre. Non pas pour elle, "le mal est fait", dit-elle. Mais pour toutes les autres victimes et pour "dépasser la noirceur" de son histoire, "transformer cette boue en matière noble".

Levée du huis-clos
Dans la salle d'audience sous-dimensionnée pour accueillir les 51 accusés, leurs conseils et la presse, la septuagénaire demande par la voix de ses avocats à ce que le huis-clos, qui lui aurait été accordé d'office par le président de la cour criminelle du Vaucluse, ne soit pas prononcé. Quelques mois plus tôt encore, Gisèle Pelicot n'envisageait pourtant pas de rendre publics les viols dont elle a été victime.
"Aujourd'hui, on se souviendra de Madame Pelicot", assume-t-elle, presque comme un cri de ralliement, lors de sa dernière prise de parole devant la cour.
Pendant les mois précédant le procès, "s’est imposé à elle une autre idée", a relaté son avocat Me Stéphane Babonneau lors de sa plaidoirie. "Celle que son histoire puisse être utile, que l’insensé trouve un sens, que tous les mécanismes ayant conduit à ce qu’elle avait subi soient révélés à la société toute entière: ces symptômes que personne n’avait pu identifier, le profil de ses agresseurs, à commencer par son mari et la réalité de ce qu’était un viol, encapsulé dans ces heures de vidéo et ces milliers d’images. Et bien sûr comment on se défendait d'un viol en 2024."
"Gisèle est une héroïne", réagit Céline Piques, figure historique de l'association Osez le féminisme, à la levée de ce huis-clos. "Grâce à son courage, c'est tout un système de domination qui est mis en lumière", se félicite également la Fondation des Femmes sur X (ex-Twitter).

"Quand on voit la façon dont elle a agi pendant tout le procès, évidemment que ça inspire le respect", commente auprès de BFMTV.com Elise Sélimovic-Lartillier, militante pour l'association Nous toutes. "Toutes les victimes ne peuvent pas forcément réagir de cette manière, et ce n'est pas un problème."
Le 5 septembre, Gisèle Pelicot témoigne pour la première fois. Elle dit avoir été "sacrifiée sur l'autel du vice", évoque ce "champ de ruines" en elle, mais elle veut surtout aller plus loin. "Je veux que le jour où une femme se lèvera et ne se rappellera pas ce qu'elle a fait la veille, elle se dira: 'Tiens, ça me rappelle le témoignage de Madame Pelicot'."
"D'avoir des femmes comme Gisèle Pelicot qui osent dire que la honte doit changer de camp, c'est une force. C'est ce genre de parole qui va permettre de libérer la parole des autres", poursuit la militante Nous Toutes.
"Vous n'êtes pas seules"
Rapidement les organisations militantes, celles qui luttent pour le droit des femmes et contre les violences sexuelles et sexistes, s'emparent du message lancé par Gisèle Pelicot. Le 14 septembre, des rassemblements en soutien à la septuagénaire et aux victimes de violences sexuelles sont organisés. Deux jours plus tard, elle est accueillie et raccompagnée par des applaudissements - une scène devenue depuis un rituel quotidien au tribunal judiciaire d'Avignon. Le public, venu en nombre, lui apporte régulièrement un bouquet de fleurs.
"Grâce à vous tous, j’ai la force de mener ce combat jusqu’au bout", affirme Gisèle Pelicot en réaction à ces manifestations. "Ce combat que je dédie à toutes les personnes, femmes et hommes, à travers le monde, qui sont victimes de violences sexuelles. À toutes ces victimes, je veux leur dire, aujourd’hui: 'Regardez autour de vous, vous n’êtes pas seules'."

En demandant à ce que le huis-clos ne soit pas prononcé, Gisèle Pelicot et ses avocats savent que la diffusion des vidéos dans lesquelles on la voit inconsciente, inerte, être soumise à des actes sexuels. Une diffusion pour laquelle elle a dû se battre, et obtenir gain de cause, après que le président de la cour criminelle du Vaucluse a ordonné, pendant le procès, que le public et les journalistes sortent.
"Gisèle Pelicot a choisi de montrer son visage en justifiant cette décision politiquement", soutient Claire Ruffio, doctorante en science politique à l’université Paris I-Sorbonne. "Cela vient saper les réticences de certains journalistes à ne pas parler du viol au nom de la décence. Là, c’est la victime qui choisit de montrer son visage et le viol. C’est encore plus important les violences sexuelles d’avoir cette parole car se pose la question de la représentation. Il n’y a pas de trace, souvent pas de preuve."
Motivation décuplée
Le procès se poursuit et chaque semaine, de nouveaux journalistes font des nouvelles demandes d'accréditations. Médias locaux, nationaux, anglais, américains, espagnols, allemands, colombiens ou encore australiens se font l'écho de l'affaire Pelicot, renforçant ainsi la portée symbolique que Gisèle Pelicot a voulu faire de son histoire.
"L’ampleur du traitement médiatique de ce procès n’est pas si surprenante, au vu des éléments du dossier: le mode opératoire, le nombre d'accusés, les preuves, mais aussi le profil de Gisèle Pelicot, une femme âgée loin de l'image de la victime de la victime dont on se fait habituellement", relève Claire Ruffio.
Cette médiatisation a déjà des effets. Chez Nous toutes, on évoque l'arrivée de nouvelles bénévoles au sein du collectif ces dernières semaines ou encore le fait que plus de victimes se rapprochent de l'association. "Lors des tractages avant les manifestations, il nous arrivait régulièrement de nous faire insulter", se souvient Elise Sélimovic-Lartillier. "Depuis le début du procès, ce type de scène arrive beaucoup moins. On ne peut rien dire, il y a cette femme, il y a les preuves."
Lors des manifestations organisées sur tout le territoire pour la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, Nous toutes a recensé 10.000 participants de plus que l'an dernier. L'effet Pelicot?

Un tournant?
Dans les dossiers qu'Anne Bouillon a eus à plaider depuis le 2 septembre, aussi, "les effets" du message véhiculé par la septuagénaire "sont déjà immédiats". "Dans ces dossiers ou dans les dossiers à venir, je parle de l’affaire Pelicot. Par ce qu’ont dit Gisèle Pelicot et ses avocats, cela fait sens pour tout le monde." Mais l'avocate nantaise, si elle salue "le courage absolu" de Gisèle Pelicot, appelle à ne pas la placer "sur un piédestal".
"En faisant cela et en faisant des accusés des monstres, on garde les protagonistes à distance", met-elle en garde. "Elle a voulu mettre un miroir face à notre société et dire 'ce qui m’est arrivé est le produit de la société'."
"On en fait une femme à part et malheureusement, c’est tout sauf une femme à part", explique-t-elle.
Lors des réquisitions, les avocats généraux ont interpellé les magistrats qui composent la cour: "Par votre verdict, vous signifierez que le viol ordinaire n’existe pas, (...) qu’il n’y a pas de fatalité à subir pour les femmes et pas de fatalité à agir pour les hommes", ont-ils insisté.
"Je suis très attentive à ce qu’il va se passer après", poursuit Anne Bouillon. Je pense que ce procès va marquer un point de rupture, un jalon. Nous pourrons y retourner pour trouver des points de repère. C’est comme pour le mouvement MeToo, le message était tellement fort qu’on ne pouvait plus se boucher les oreilles." Mais pour les professionnelles interrogées, il ne faut pas voir ce procès uniquement comme "celui du viol ordinaire et on parle assez peu du viol conjugal ou de la dimension incestueuse".
"S’il y a un tournant, ce sera au fil des ans", temporise Claire Ruffio. "Ce procès, comme d’autres affaires, aura un effet dans la manière d’en parler. À chaque affaire, il y a une remise en question de la manière dont on parle de ces sujets. Mais ce n’est pas tant une affaire qui peut changer les mentalités que la manière dont les professionnels vont traiter les dossiers à venir."
Gisèle Pelicot déjà ultrasollicitée
Quel rôle jouera Gisèle Pelicot dans cette évolution des mentalités? "Je suis connue dans le monde entier, indépendamment de ma volonté", a déclaré l'intéressée lors de sa dernière prise de parole, un mois plus tard. "On se souviendra de madame Pelicot, beaucoup moins de monsieur Pelicot. On se souviendra de la mamie, de Gisèle Pelicot", a-t-elle expliqué, afin de justifier l'usage de ce patronyme - en hommage à ses petits-enfants.
Si l'on se souviendra du nom Pelicot, Gisèle aspire à retrouver un certain calme. Avant cela, elle pourrait s'exprimer longuement après le verdict du procès, attendu ce jeudi 19 décembre. De nombreux médias - écrits, radio, audiovisuels... et même Netflix lui ont déjà fait des propositions.