Les jugements d'étrangers au pied des pistes à Roissy font polémique

Roissy-CDG se classait il y a un an à la 32ème place dans le classement des 100 meilleurs aéroports du monde. Cette année, il n'est plus que 37ème. - AFP
"Une justice que l'on veut éloigner", "des sous-justiciables". Les critiques sont virulentes à l'encontre de l'annexe du tribunal de grande instance de Bobigny installée sur le tarmac de l'aéroport de Roissy, pour juger les étrangers non admis en France. Alors que les audiences doivent débuter officiellement mercredi, l'Observatoire de l'enfermement des étrangers organise un rassemblement pour dénoncer ce dispositif testé depuis le mois de juin dernier, et qui devait ouvrir au début du mois d'octobre.
"Aujourd’hui nous pouvons débuter les audiences dans cette salle", a assuré mardi matin sur France Inter Nicole Belloubet, la ministre de la Justice.
Problèmes d'escortes
Imaginée en 2003 afin de faciliter le jugement des étrangers sans visa, sans billet retour ou sans attestation d'accueil, l'idée de cette annexe avait été abandonnée par Christiane Taubira alors ministre de la Justice. Elle avait alors été reprise à son compte par son successeur, Jean-Jacques Urvoas puis par la nouvelle Garde des Sceaux. "La création de cette salle d’audience à proximité du lieu de rétention a répondu d’abord à des questions de dignité", insiste Nicole Belloubet.
"Parce que les étrangers qui devaient aller au tribunal de Bobigny dans des situations de transport extrêmement inconfortables puis attendre à Bobigny, il me semble qu’ils n’étaient pas dans des situations qui étaient dignes."
L'objectif de délocaliser une salle annexe du tribunal à proximité de la zone d'attente pour les personnes maintenues en instance, à Roissy, au Mesnil-Amelot, est de renvoyer plus rapidement les étrangers vers leur pays d'origine, mais aussi d'économiser sur les allers-retours entre l'aéroport de Roissy et le tribunal de Bobigny, où les étrangers étaient jusqu'alors jugés. Un transport qui nécessite également des policiers. "Ce n'est pas aux justiciables de faire les frais d'un problème d'escorte ou de place", s'indigne Laurence Roques, du Syndicat des avocats de France (SAF). La construction de la salle aurait coûté 2,7 millions d'euros en 2012.
"Au nom du confort, on devrait renier sur les principes", poursuit-elle.
Justice "inaccessible"
Chaque année, plus de 6.000 personnes sont conduites dans la zone d'attente pour personnes en instance (Zapi). S'ils ne sont pas reconduites vers leur pays d’origine ou de provenance au bout de quatre jours, ces étrangers doivent ensuite passer devant un juge des libertés et de la détention, qui doit décider ou non de leur maintien dans la Zapi. Le temps pour l'administration de statuer sur leur demande d'asile, par exemple. Les personnes jugées peuvent faire appel à un avocat et, pour motiver la décision du magistrat, les membres de leur famille sont souvent appelés à témoigner ou à apporter des pièces justificatives. Avec la mise en place d'audiences dans cette annexe, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer "une justice éloignée".
"C'est l'enfer pour se rendre à cette annexe", tranche Laurence Roques. "Pour les avocats, c'est déjà compliqué de s'y rendre. Alors imaginez pour des familles qui ne maîtrisent pas parfaitement le français ou qui viennent en bus. C'est inaccessible, elles ne viendront pas et n'apporteront pas les documents nécessaires pour leur proche."
Cette situation fait alors craindre que la publicité des débats, l'un des principes fondamentaux du fonctionnement de la justice, ne soit pas respectée. "Ces audiences et cette justice vont se faire dans la plus grande indifférence", estime l'avocate spécialisée en droit des étrangers. "C'est comme si on jugeait les gardés à vue dans les commissariats. Le lieu sera sous contrôle de la police aux frontières. C'est une nouvelle fois la démonstration de la mainmise du ministère de l'Intérieur sur l'institution judiciaire."
Le Défenseur des droits réservé
Mardi dernier, le Défenseur des droits a recommandé que l'ouverture de la salle annexe du tribunal de grande instance de Bobigny soit reportée, considérant "que les garanties procédurales fondamentales ne sont à ce jour pas réunies pour permettre la tenue des audiences".
Jacques Toubon estime que les principes du bon fonctionnement de la justice" sont susceptibles d'être gravement compromis par le dispositif procédural actuel et les modalités fonctionnelles d'ouverture de cette salle (...) située dans une zone d'accessibilité réduite". Le Défenseur s'inquiète également de la prise en charge des mineurs.
"Beaucoup de travaux qui ont été faits correspondent exactement aux recommandations qui ont été effectuées", assure Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, citant "travaux de signalisation, travaux d’isolement et des transports qui ont été améliorés".