Cambriolage au Louvre: quand La Joconde a été volée par un vitrier italien, en 1911, renforçant la légende du tableau

"On a volé La Joconde au musée du Louvre!" Telle était l'accroche du Petit Parisien, le mercredi 23 août 1911, au lendemain du vol du chef d'œuvre de Léonard de Vinci.
Alors que des malfaiteurs ont dérobé plusieurs bijoux d'une "valeur inestimable" ce dimanche 19 octobre, il y a plus d'un siècle, c'est le plus célèbre tableau du musée du Louvre qui avait laissé son emplacement vide pendant plus de deux ans. Une histoire extraordinaire qui a ajouté à sa légende.
Le directeur de l'époque contraint à la démission
L'affaire commence lorsque le brigadier Poupardin, l'un des gardiens en chef, de retour à son service le mardi 22 août à 7 heures du matin, constate l'absence du tableau. Il demande alors à l'un de ses agents si la toile n'est pas à la maison Braun & Cie, le service de la photographie officielle du musée. "Pas que je sache chef", lui a-t-il répondu, selon l'archive du Petit Parisien.
Lorsque Poupardin s'y rend directement, le tableau n'y est pas. Il signale donc l'événement à Charles Galbrun, alors sous-administrateur du Louvre, qui mène sa petite enquête et rend compte des témoignages contradictoires à Georges Bénédite, conservateur des antiquités égyptiennes.
Ce dernier se rend chez le préfet de police Louis Lépine, aux alentours de midi, avant d'envoyer un télégramme à Théophile Homolle, directeur des Musées nationaux, alors en vacances dans les Vosges.
L'enquête permet de retrouver le cadre datant de la Renaissance et la vitre de protection du tableau dans un escalier menant à la cour Visconti. Une empreinte digitale est alors identifiée, mais la comparaison avec les salariés du musée ne donne rien. Face au scandale suscité, Théophile Homolle démissionne.
Guillaume Apollinaire et Pablo Picasso accusés du vol
Interrogé par le journal, Georges Bénédite met en cause les défauts de sécurité liés au manque de personnel. "Nous disposons de 120 à 130 hommes. Mais les congés réguliers, la maladie, les obligations militaires réduisent fréquemment ce nombre d'un bon tiers. Actuellement, le gardien qui veille sur la galerie d'Apollon assure également la surveillance du grand Salon carré. C'est notoirement insuffisant", témoigne-t-il.
"Si c'est un vol, l'acte est imbécile. (...) Il est impossible de la vendre. Ou c'est une fumisterie (...). Ou bien encore c'est l'œuvre d'un fou assoiffé de réclame, témoigne Georges Bénédite, conservateur des antiquités égyptiennes au musée du Louvre, en 1911.
Les investigations se poursuivent mais aucun suspect ne peut être désigné. Les frontières du pays sont cloisonnées, les trains et bateaux en partance de France pour l'étranger sont même fouillés par la police.
Une semaine après le vol, le Petit Parisien reçoit dans ses locaux un personnage fantasque: Géry Pieret, l'ancien secrétaire et ami du poète Guillaume Apollinaire. Il vend au journal une statuette qu'il affirme avoir volée dans la salle des antiquités ibériques, pour 250 francs de l'époque.
Sauf que Géry Pieret n'en était pas à son coup d'essai. En 1907, quatre ans avant le vol de La Joconde, il avait déjà dérobé deux statuettes dans la même salle des antiquités ibériques, qu'il avait tenté de vendre à Guillaume Apollinaire. Devant son refus, il s'était tourné vers le peintre Pablo Picasso, qui en avait fait l'acquisition.
Apollonaire et Picasso, lorsqu'ils apprennent la nouvelle, se déplacent au Petit Journal pour rendre les deux statuettes et sont ensuite interpellés par la police, qui fait le lien avec le vol de La Joconde. S'ils mettent en avant leur bonne foi, Guillaume Apollinaire est tout de même incarcéré six jours à la prison de la Santé, accusé du recel.
La piste de Géry Pieret refroidit lorsque ce dernier prend la fuite. Il est tout de même condamné par contumace en février 1912 à 10 ans de prison. Capturé au Caire en décembre, il est assigné à résidence et acquitté lorsque la vérité éclate, selon le site internet de l'Institut national d'histoire de l'art.
L'œuvre n'avait presque jamais quitté Paris
Car toutes ces pistes se sont avérées fausses. Le 10 décembre 1913, plus de 2 ans après le cambriolage, La Joconde réapparaît enfin après le signalement d'Alfredo Geri, propriétaire d'une galerie d'art à Florence. Celui-ci a reçu une proposition d'un homme pour la lui vendre.
Cet individu se nomme Vincenzo Peruggia, un vitrier italien qui avait travaillé au Louvre et avait même mis le portrait de Mona Lisa sous verre. À la police, il révèle avoir caché la toile dans son appartement situé rue de l'Hôpital Saint-Louis, dans le Xe arrondissement de Paris. L'œuvre de Léonard de Vinci n'avait franchi la frontière que pour aller à Florence, avant que Vincenzo Peruggia ne se fasse arrêter.
Authentifié par Giovanni Poggi, le directeur de la galerie des Offices de Florence, La Joconde fait le tour de l'Italie avant d'être rendu à la France en 1914. Durant son procès, Vincenzo Peruggia assure avoir agi par patriotisme en voulant rendre le tableau à son pays d'origine. Il est condamné à un an de prison pour son acte, une peine réduite ensuite à sept petits mois.
Pendant ce temps, l'aura et la popularité de la peinture n'ont cessé de croître, grâce à une exposition médiatique permanente. Victime plusieurs fois d'attaque, La Joconde est aujourd'hui protégée par une vitrine spéciale de quatre mètres de haut sur deux mètres de large.