Deux bébés échangés, les familles réclament justice

En juillet 1994, le personnel d'une clinique cannoise se trompe en restituant deux fillettes à leurs familles respectives. La substitution est révélée huit ans plus tard par des tests ADN. - -
Leur histoire ressemble au scénario de départ de La vie est long fleuve tranquille. Il y a dix-huit ans, deux bébés ont été échangés dans une maternité cannoise. Ce vendredi, Le Parisien publie le témoignage de Manon Serrano, l'une des fillettes échangées en juillet 1994 et élevée depuis par une mère aimante, mais avec qui elle n'a pas de lien biologique.
Un improbable échange
"Je suis victime d'un truc fou, unique, que personne ne peut comprendre", confesse la jeune femme, très attachée à sa mère. Cette incroyable erreur, Manon n'en a eu connaissance qu'à l'âge de dix ans.
Dans la nuit du 8 au 9 juillet 1994, dans une clinique de Cannes, deux nourrissons souffrant de jaunisse sont placés sous des lampes spéciales et surtout, faute de place, dans le même berceau. Manon et Mathilde ne portent pas de bracelet indiquant leur identité. Rien cependant de très anormal jusqu'à cette erreur, reconnue depuis par la clinique, lors de la restitution des fillettes à leurs parents respectifs. Les deux familles émettent des doutes sur l'identité des enfants qui leurs sont confiés, rapportent le procès-verbal dressé par les enquêteurs. Mais le personnel de l'établissement les dissipe aussitôt. Reste que l'inversion des deux enfants a bel et bien eu lieu.
Huit ans après, le père demande des tests ADN
Le père de Manon, explique Sophie, la mère de la jeune femme qui témoigne aujourd'hui de son destin bouleversé, "n'a jamais développé de fibre paternelle". "Je lui en ai voulu pendant longtemps de ne pas s'occuper de sa fille, mais finalement, ce manque d'alchimie s'explique", confesse-t-elle encore.
En 2002, le père de Manon a demandé un test de paternité. En 2004, alors que dans son village des Alpes-Maritimes, les rumeurs d'infidélité courent sur cette mère à qui son enfant ne ressemble pas, Sophie a connaissance des résultats de l'expertise ADN. Le choc est immense: Manon n'est pas la fille de son père supposé, pas plus que l'enfant de la mère qui l'élève. "Le ciel m'est tombé sur la tête", explique la mère. Elle mettra des semaines à en informer son enfant.
Trois mois après les résultats des tests génétiques, la famille de l'autre enfant, Mathilde, est retrouvée. Sophie rencontre alors pour la première fois sa fille biologique et déclare l'avoir "instinctivement aimé". Depuis les liens se sont quelque peu distendus.
Et la justice dans tout ça
Après avoir eu la preuve scientifique de cette erreur, les parents de Manon porte plainte contre la clinique pour substitution d'enfants. Mais en 2005 la plainte est classée. Motif: il n'y a pas d'infraction pénale étant donné qu'il n'y a pas eu intention d'échanger les enfants.
Aujourd'hui, le combat judiciaire de la famille Serrano se poursuit au civil. Elle a pris pour représentant le très médiatique avocat Gilbert Collard. Du côté de la clinique, on reconnaît l'erreur et on affirme avoir "pris la mesure des conséquences graves que cela a engendré chez les familles concernées", explique maître Claude Chas. En revanche, la somme réclamée au titre de dommages et intérêts, soit 12 millions d'euros en tout, est qualifiée de "spéculative" par le défenseur de la clinique cannoise.