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Canicule: comment les détenus gèrent la chaleur en prison? 

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Les conditions de détention pour les quelque 72.000 détenus en France sont rendues un peu plus compliquées avec les fortes chaleurs de cette semaine.

Des draps humides suspendus aux fenêtres, des cellules inondées pour apporter un peu de fraîcheur, au risque de sanctions disciplinaires... Depuis le début de la semaine, les conditions de détention se sont un peu plus complexifiées avec les fortes chaleurs qui s'abattent sur la France. Malgré les mesures mises en place par l'administration pénitentiaire, c'est le système D qui prévaut chez les détenus, afin de faire face à cette canicule.

Depuis le début de la semaine, François Bes, coordinateur du pôle enquête de la section française de l'Observatoire international des prisons, reçoit des appels des familles inquiètes pour les conditions de détention de leurs proches. Dans les témoignages des détenus, un mot revient sans cesse: "fournaise", alors que la température dans les cellules dépasse souvent les 30 degrés. A cette situation s'ajoute celle de l'impossibilité de se rafraîchir dans ces prisons qui, pour plus de la moitié, ont été construites avant les années 50.

"Il est impossible de faire un courant d'air dans les cellules car par définition les détenus ne peuvent ouvrir les portes, détaille François Bes. Il y a des fenêtres souvent petites, pour les cellules où le soleil donne toute la journée, la situation est encore plus cuisante."

"Ils peuvent s'hydrater mais pas se rafraîchir"

Dans le quartier des femmes à la prison de Fleury-Mérogis, les fenêtres ne s'entrebâillent que de 10 centimètres. Dans les prisons anciennes, il n'y a pas de douches dans les cellules. Les systèmes électriques sont vétustes et ne permettent pas de brancher de réfrigérateur. "A la prison de Fresnes, il y a eu une distribution d'eau, mais comme il n'y a pas de réfrigérateur dans les cellules, l'eau a chauffé, poursuit le coordinateur de l'OIP. Les détenus peuvent s'hydrater mais ne peuvent pas se rafraîchir." Dans les cellules, les détenus que BFMTV a pu rencontrer confirment. "Ceux qui ont de l’argent, ils peuvent cantiner des bouteilles pour boire", explique Mamad, montrant les packs d'eau entassés dans un coin de la cellule qu'il partage avec deux autres personnes.

Comme Mamad, Steeve* évoque une chaleur difficile à supporter. "Il fait chaud, on essaie de boire beaucoup d’eau. Les douches, c’est compliqué. Je me mets le ventilateur sur la tête, on se le prête."

Pour faire face à la situation, l'administration pénitentiaire a mis en place un plan canicule à destination des directeurs d'établissements pénitentiaires. Parmi les consignes à suivre: fournir en cantinement, c'est-à-dire proposer à la vente au magasin d'une prison, des ventilateurs; permettre l'accès à un point d'eau pour boire; mettre en place des douches plus fréquentes que les trois douches hebdomadaires habituelles; décaler les promenades ou encore allonger la durée des promenades si un rafraîchissement est possible. Des mesures pour les détenus mais aussi pour les surveillants avec de l'eau mise à disposition des personnels et des rotations plus régulières pour les postes les plus exposés à la chaleur.

Des mesures de précaution difficiles à mettre en place

"On a réfléchi dès la semaine dernière aux mesures", explique Jimmy Delliste, le directeur de la prison de Fresnes. "On a fait aussi le choix d’arroser les cours avant les promenades afin de les rafraîchir un peu", poursuit le directeur de l'établissement, qui affirme que les promenades peuvent durer jusqu'à 2 heures. Dans le centre pénitentiaire qui regroupe environ 2.600 détenus, l'attention est prioritairement mise sur les personnes vulnérables ou indigentes, avec la distribution de bouteilles d'eau. Ce sont par exemple ces derniers qui peuvent bénéficier des douches quotidiennes.

Car derrière les mesures affichées, reste la réalité de la surpopulation dans les prisons françaises. A Fresnes, le taux atteignait 182% en février dernier.

"L'administration n'arrive pas à mettre en place les mesures du plan canicule, estime François Bes. Dans les prisons surpeuplées, il est difficile d'augmenter la fréquence des douches. Il est également difficilement réalisable de déplacer les détenus qui se trouvent dans des cellules exposées toute la journée au soleil dans des cellules plus fraîches alors qu'il y a déjà 3 ou 4 détenus par cellules." 

Des équipements plus légers réclamés

La canicule impacte également les visites, dans des parloirs étouffants de 2 m² sans aération, pour les prisons les plus anciennes. Les visiteurs, parfois des parents âgés ou des enfants en bas âge, ont reçu l'autorisation d'introduire une petite bouteille d'eau, mais la situation reste très difficile. Avec la crainte de violences.

"On sait que la promiscuité de manière générale créée des tensions, insiste François Bes. Cela vient augmenter ces facteurs de malaises et donc de tension potentielles, donc de violences potentielles entre détenus et entre personnels et détenus."

Depuis deux jours, les personnels pénitentiaires ne remontent pas de tensions particulières liées à la chaleur. Toutefois, s'ils rappellent qu'ils sont très vigilants quant à l'attention portée aux détenus, ils souhaiteraient que davantage de mesures soient prises en faveur des surveillants. "Depuis des années, nous réclamons des équipements adaptés à la saison estivale pour les surveillants, à Strasbourg, la chaleur ne dure pas deux jours, elle dure 2 à 3 mois", rappelle Christophe Schmidt, du syndicat FO Pénitentiaire, qui prend pour exemple les tenues adoptées par les surveillants de l'outre-mer.

* Le prénom a été changé.

Mélanie Bertrand et Justine Chevalier