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"C'est un passage en force": pourquoi la police judiciaire se mobilise contre sa réforme ce jeudi

Rassemblement de policiers devant le commissariat principal de Strasbourg, le 17 octobre 2022, contre le projet de réforme de la police judiciaire

Rassemblement de policiers devant le commissariat principal de Strasbourg, le 17 octobre 2022, contre le projet de réforme de la police judiciaire - Frederick FLORIN © 2019 AFP

Les policiers de la police judiciaire appellent à se rassembler ce jeudi devant les tribunaux judiciaires de toute la France pour montrer leur opposition à la réforme annoncée par le ministère de l'Intérieur.

Cette réforme-là, ils n'en veulent pas. Les policiers de la police judiciaire, qui traitent de la criminalité organisée et du haut du spectre de la délinquance, appellent à de nouveaux rassemblements ce jeudi midi devant les tribunaux judiciaires. Magistrats, avocats ou encore élus sont appelés à s'associer à ce mouvement.

"La réforme s’accélère brutalement et s’appliquera sans ménagement dans sa version la plus stricte pour la PJ", écrit l'Association nationale de la police judiciaire (ANPJ) qui appelle cette mobilisation. La réforme dénoncée est celle qui doit voir se généraliser un nouveau mode d'organisation voyant tous les effectifs, y compris ceux de la PJ, sous l'autorité d'un seul et unique directeur au niveau départemental (DDPN), dépendant du préfet. Actuellement, chaque service répond à un directeur central.

Depuis l'été 2022, les habituellement très discrets fonctionnaires de la police judiciaire sortent de leur réserve pour dénoncer "l'incroyable performance de mettre à terre la Direction centrale de la police judiciaire qui combattait sans relâche et de toutes ses forces la criminalité organisée, grave et complexe", écrit l'ANPJ dans un communiqué datant du 4 mars dernier.

Une expérimentation dans huit départements

Sur le papier, la réorganisation annoncée par le ministère de l'Intérieur vise à rationaliser l'action de la police. Dans le cas de l'investigation, il s'agit de créer une filière "unique" avec la PJ pour les crimes les plus graves et la sécurité publique qui gère la délinquance du quotidien, et alors que les contentieux se multiplient avec la libération de la parole des femmes et l'augmentation du nombre de plaintes pour violences conjugales.

D'abord dans trois départements à partir de janvier 2021 puis dans cinq autres à partir de mars 2022, la réforme a été expérimentée.

"Dans les faits, je suis très sceptique quant à l'intérêt de ce projet, il ne va pas résoudre le problème de base qui est la gestion du stock de procédures", estime un policier.

À Caen par exemple, où la réforme a été expérimentée lors de la seconde phase, les effectifs de la sécurité publique en charge de l'investigation ont été co-saisis avec la PJ sur certaines affaires, là où avant elles ne relevaient que de la compétence de la police judiciaire. Une organisation au nom de la filière "unique" qui engendre alors une surcharge de travail pour le commissariat local.

"Nous ne sommes pas contre cette réforme, nous avons bien conscience qu'en termes de sécurité publique ce n'est pas tenable. Mais la réforme ne répond en rien à la problématique de la gestion des stocks", abonde une policière affectée en Normandie et qui appartient à l'ANPJ. D'autant que rien n'a été annoncé pour l'amélioration des conditions de travail des agents de la sécurité publique.

Crainte d'un nivellement vers le bas

Plus largement, les policiers de la Police judiciaire craignent un nivellement vers le bas de la filière investigation, qui pèserait, selon eux, sur toute la sécurité dans son ensemble. À Marseille, là où les groupes anti-stup travaillent notamment sur les trafics de drogue à l'international, la priorité leur a été donnée de se concentrer sur le trafic dans les quartiers, qui concerne le gros des procédures. Dans certains territoires, on s'inquiète qu'une départementalisation des services ne réponde pas au maillage local.

"À Caen (dans le Calvados, NDLR), notre direction est à Rouen (en Seine-Maritime, NDLR), explique une policière de cette antenne. Quand nous avons besoin de soutien sur cette opération, comme le soutien de la BRI ou d'une équipe de la police technique et scientifique, c'est Rouen que nous sollicitons."

"Si demain, nous avons un directeur seulement au niveau départemental, est-ce que les moyens seront répartis de manière égalitaire comme c'est le cas actuellement?", s'interroge-t-elle encore.

Les policiers qui ont à lutter contre les crimes, les trafics de drogue ou la corruption ont les mois passés montré leur détermination à s'opposer à cette réforme. Le 6 octobre, les policiers de la PJ marseillaise, vêtus de leur gilet noir où l'inscription "Police judiciaire" était barrée en signe de deuil, avaient accueilli le directeur général de la police nationale par une "haie du déshonneur". Une action qui avait coûté sa place à Éric Arella, le directeur zonal de la PJ pour le sud de la France, démis de ses fonctions le lendemain.

Plusieurs inspections

Toute la chaîne pénale a apporté son soutien à cette mobilisation. "La départementalisation imposée par la réforme ne permettra pas cette lutte, les enquêteurs seront utilisés pour pallier aux manques de moyens criant de la sécurité publique! Rattachés au DDPN et donc au préfet de département, logiquement la délinquance locale emportera les arbitrages de moyens au détriment d'enquêtes difficiles, longues, sur un territoire étendu...", tweetait mardi l'Union syndicale des magistrats.

Le ministre de l'Intérieur avait appelé à la concertation. "Il n'y a pas de dialogue, il n'y a pas d'adhésion à cette réforme, il y a juste de l'incompréhension", déplore un policier. Ces derniers mois, une mission interinspections (Inspection générale de l'administration, Inspection générale de la justice et Inspection générale de la police nationale) a rendu ses conclusions sur l'expérimentation, notamment, dans les huit départements de métropole de sa réforme. Une expérimentation "à droit constant" donc sans changer l'organisation, ni le nombre d'effectif.

L'Assemblée et le Sénat ont également mené des missions d'évaluation. La Chambre haute a conseillé d'organiser un moratoire et repousser la réforme après les Jeux Olympiques de 2024. Les conclusions de l'inspection administrative comportent 19 recommandations. "C'est un passage en force", déplore encore un policier affecté à l'investigation, rappelant que les missions d'évaluation de l'administration ont été menées dans la foulée de l'expérimentation.

Une inquiétude pour les PJistes

Le 3 mars dernier, dans un courrier adressé aux 150.000 policiers français, Gérald Darmanin a rejeté la proposition des sénateurs, affirmant que la réforme serait généralisée d'ici la fin de l'année. "Afin de tenir compte des craintes mais aussi des recommandations qui ont été faites, j'ai décidé de retenir le principe d'une organisation interdépartementale dans les territoires où la compétence s'exerce sur plusieurs départements", écrit le ministre.

"Ces services conserveront donc la plénitude de leur compétence territoriale actuelle", poursuit le ministre.

"On n’utilisera pas des grands policiers de PJ qui font du grand banditisme pour faire des violences conjugales", faisait encore valoir le 14 février dernier Gérald Darmanin lors d'une audition devant la mission d’information de la commission des lois du Sénat sur la réforme de la police judiciaire.

"Cela durera 6 mois, un an", rétorque un policier qui craint que "le cœur de métier" des hommes de la police judiciaire soit perdu.

Aujourd'hui, les policiers ont peu d'espoir de voir leur ministre reculer sur cette réforme. "Il y a déjà une véritable crise de vocation pour la filière investigation", déplore cette policière normande. Le 20 février dernier, le chef du groupe Crim et Banditisme à la PJ du Var s'est suicidé dans son bureau, avec son arme de service. "Nous avons des gens qui avaient un fort sentiment d'appartenance à cet écusson, il y a beaucoup d'inquiétudes pour ces gens investis dans leur métier", conclut un policier.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV