Affaire Merah : mieux vaut (encore) le sensationnalisme que la censure

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Chacun a le droit d’être choqué par les dialogues que TF1 a choisi de diffuser. On a aussi le droit de ne pas les écouter. En réalité, la question n’est pas de donner tort ou de donner quitus à la chaîne. L’information est libre ; c’est un principe auquel il ne faut pas déroger, fut-ce au nom de la souffrance des victimes ou du refus du fanatisme. Dans une autre démocratie, un tel débat serait inimaginable : on se demanderait plutôt pourquoi l’intégralité des éléments détenus par la police n’a pas encore été rendue publique.
La direction de TF1 invoque la « forte valeur d’information » de ces enregistrements. Un bon argument ?
Il n’y a pas d’échelle pour mesurer la force à partir de laquelle un document peut être diffusé. Celui de TF1 ne révolutionne pas ce qu’on savait de l’affaire, mais il a une valeur informative : il éclaire la personnalité de Merah, son parcours, ses rapports avec les services de renseignement. D’une certaine façon, il démystifie ce qu’il a fait : ce n’était évidemment pas un héros mais pas non plus un gamin à la dérive. L’homme qu’on entend, c’est un manipulateur fanatisé qui donne l’impression de maîtriser ses actes – et dont on voit bien qu’il est décidé à mourir. Donc c’est vrai qu’il y a une part de sensationnalisme dans cette diffusion. Mais personne ne peut dire qu’elle n’apporte rien – donc qu’elle serait illégitime.
Pourtant le CSA a déconseillé aux autres médias de rediffuser les extraits et il doit auditionner aujourd’hui les dirigeants de TF1, de BFM TV et de I-télé. Est-il dans son rôle ?
Dans son rôle peut-être, mais c’est ce rôle de surveillant général des médias qui est contestable. Si on considère que des propos inacceptables ou des appels à la haine ont été diffusés, c’est à la justice d’intervenir – pas à une autorité administrative de donner des coups de règle sur les doigts. Le CSA ne peut pas imposer aux journalistes une information qui serait passée au tamis du consensus. Qu’une enquête soit ouverte par ailleurs pour savoir d’où vient la fuite, c’est normal – Mme Taubira, elle, est incontestablement dans son rôle en le réclamant. Deux remarques quand-même sur TF1 : 1. par délicatesse, les familles des victimes auraient dû être prévenues avant la diffusion ; 2. si la chaîne assume son choix, on comprend mal pourquoi le sujet a été retiré de son site Internet…
Maintenant que ces bandes ont été rendues publiques, les images que Merah a tournées lui-même de ses crimes pourraient-elles être, elles aussi, un jour diffusées ?
On peut le redouter. Elles ont été saisies par la justice, une fuite est toujours possible. Mais le cas de figure serait totalement différent : ces images n’ont pas, en soi, le moindre caractère informatif. Merah les a tournées à des fins de propagande et pour glorifier ses propres crimes. Si elles étaient diffusées, ce serait une victoire posthume pour lui et pour la barbarie qui l’a inspiré. Aucune chaîne, aucun média n’est obligé de tomber aussi bas.
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