Pourquoi Amber Heard est la cible de violentes attaques sur les réseaux sociaux

Sur TikTok, Instagram et Twitter, c'est un véritable lynchage. Les vidéos, sketchs ou mèmes moquant Amber Heard, sont nombreux et cumulent des millions de vues, depuis son témoignage, début mai, au procès qui l'oppose à son ex-mari Johnny Depp.
L'acteur, rappelons-le, attaque Amber Heard en diffamation devant un tribunal américain, lui reprochant une tribune de 2018 dans le Washington Post, dans lequel elle se décrivait comme une rescapée de violences domestiques. Johnny Depp affirme ainsi que son ex-femme a ruiné, avec cette tribune, sa réputation et sa carrière. Il lui réclame 50 millions de dollars de dommages et intérêts. Amber Heard l'attaque en retour pour 100 millions de dollars et affirme avoir subi "des violences physiques et des agressions" avant et pendant leur mariage.
"Le diable existe"
Si, au bout de près d'un mois de procès, aucun des deux acteurs ne sort grandi de ce déballage d'anecdotes glauques, témoignant surtout d'une relation toxique, les internautes ont, eux, clairement choisi leur camp.
Depuis début mai, les parodies se multiplient, décrédibilisant et dénigrant le témoignage d'Amber Heard, célébrant ses "talents" d'actrice, la présentant comme manipulatrice et narcissique. Une tiktokeuse américaine récolte ainsi des millions de "like" avec ses parodies du témoignage de l'actrice, sous-entendant qu'elle joue un rôle.
Comme elle, des centaines d'utilisateurs de TikTok se sont emparés des images du procès, retransmis en direct sur le Web, pour les détourner. Ils utilisent aussi des images d'archives. "Le diable existe", explique l'une d'eux, en commentaire d'une vidéo de l'actrice sur un tapis rouge. Un autre détourne la phrase "Johnny you hit me, you hit me" (Johnny, tu m'as frappée, tu m'as frappée", prononcée au procès, par l'actrice), qui est l'une des phrases du procès les plus reprises et détournées sur les réseaux sociaux. On y croise ainsi des chats à perruques, rejouant le fameux dialogue. TikTok assure pourtant, dans supprimer les contenus incluant "des menaces ou les déclarations dégradantes destinées à se moquer, humilier, embarrasser, intimider ou blesser un individu".
Milliards de vues
Sur la plateforme, "de très courts extraits du procès sont retenus et présentés avec un gros parti-pris", analyse Callum Hood, responsable de la recherche au Center for Countering Digital Hate, ONG qui lutte contre la désinformation en ligne, interrogé par CNN.
Le hashtag #Justiceforjohnnydepp y cumule plus de 11 milliards de vues, quand #Justiceforamberheard n'en a que 41,2 millions. Certains comptes de tiktokeurs ont vu leur compte gagner 30.000 abonnés du jour au lendemain, grâce à des vidéos dénigrant Amber Heard, qui cumulent des millions de vues, selon les informations de CNN.
Même chose sur Twitter, où le hashtag #JusticepourJohnnyDepp est également associé à toutes sortes de messages traitant Amber Heard de menteuse diabolique, assoiffée d'argent. Une pétition réclamant que l'actrice soit coupée au montage d'Aquaman 2 a récolté près de 4 millions de signatures.
D'autres hashtags circulent également, tels que "Amberturd". "Turd", en anglais désigne une crotte, et fait référence à un épisode raconté par Johnny Depp devant un autre tribunal en 2020, et dans lequel il accuse Amber Heard d'avoir déféqué sur son lit.
"Martyr des temps modernes"
Si quelques voix s'élèvent pour défendre l'actrice, la twittosphère semble prendre fait et cause pour Johnny Depp. L'importance de la "fanbase", et la différence de notoriété entre Johnny Depp, acteur reconnu et admiré depuis trente ans, et Amber Heard, jeune starlette à la courte filmographie, ne suffisent pas à expliquer la différence de traitement sur les réseaux sociaux.
Rose Lamy, créatrice du compte Instagram Préparez-vous pour la bagarre, qui a publié Défaire le discours sexiste dans les médias aux Editions JC Lattès, y voit "l'organisation massive de la sphère masculiniste", ajoutant "on sait que des milliers de robots et de faux comptes ont probablement été créés pour influencer l'opinion des réseaux". Pour elle, "ce qui semble se jouer ici c'est une sorte de vengeance 'haineuse' d'une catégorie d'hommes qui se sent menacée par les avancées du mouvement #metoo, qui n'osent pas en parler en public auprès de leurs amis, au travail".
Ils érigent "Johnny Depp [en] martyr des temps modernes et instrumentalisent cette affaire pour faire la démonstration de l'oppression des hommes en 2022", analyse encore l'autrice.
Nombre de parodies et d'attaques violentes contre Amber Heard n'émanent pourtant pas toujours d'hommes, mais aussi de jeunes femmes. Rose Lamy y voit, là encore, le fruit de "la propagande masculiniste".
"Ces jeunes femmes y adhèrent et pensent faire preuve de discernement en mettant en valeurs leur empathie pour un homme qu'on présente comme victime d'une injustice sociale. Elles croient offrir une image de féministes justes, modérées, s'opposant aux stéréotypes des féministes extrémistes imaginés par les antiféministes aussi bien sur les réseaux que dans les médias généralistes."
Le profil de la "bonne victime"
Selon les témoignages des deux acteurs, les faits de violence émanent des deux côtés. Johnny Depp a assuré qu'Amber Heard le frappait. Et Amber Heard a également décrit des gifles et des coups. Pourtant, la parole d'Amber Heard semble, sur les réseaux sociaux, avoir moins de poids que celle de Johnny Depp. La violente, c'est elle et non lui.
"La parole d'une femme n'a pas la même valeur que celle d'un homme", souligne Rose Lamy, évoquant l'affaire Patrick Poivre d'Arvor, en France, où il a fallu le témoignage d'une vingtaine de femmes pour "ébranler la confiance que l'opinion publique ou certains médias accordaient à la version de PPDA".
Pour l'autrice, Amber Heard ne correspond pas au profil de "la bonne victime". Notamment en raison de certaines révélations à son encontre. "Des éléments prouvant des violences réciproques, sa santé mentale, ses comportements passés. Si elle a menti une fois dans sa vie, si elle a été violente, on considère qu'elle a menti sur tout et qu'il est légitime de mener contre elle une campagne 'punitive'."
En mai 2016, Amber Heard avait poursuivi son mari en justice pour violences conjugales avant d'abandonner ces charges lors de la procédure de divorce contre un chèque de 7 millions de dollars. Là encore, les versions s'opposent. Amber Heard dit avoir donné l'argent à des organismes de charité. Johnny Depp assure, lui, qu'elle a gardé les 7 millions de dollars. Les internautes l'accusent donc d'être une "gold digger", de vouloir soutirer de l'argent à l'acteur.
Quelle que soit l'issue de ce procès, l'affaire risque d'avoir des conséquences "dramatiques sur les victimes de violences sexistes qui assistent à l'humiliation publique d'Amber Heard", estime Rose Lamy. Pour elle, Amber Heard a perdu la bataille de l'opinion, ainsi que toute les femmes et victimes de violences".
