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La "trailerisation", cette mode hollywoodienne qui recycle les classiques de la pop-musique dans les bandes-annonces

"The Batman", avec Robert Pattinson

"The Batman", avec Robert Pattinson - Warner Bros.

Depuis une quinzaine d'années, les bandes-annonces de blockbusters redonnent une nouvelle vie à de vieux titres pop ou rock. Le phénomène musical, nommé "trailerisation", culmine avec les films de superhéros.

Le vrai héros de la bande annonce du dernier Batman, ce n'est pas Robert Pattinson, c'est le son. La reprise acoustique de Something In The Way, le tube de Nirvana sorti en 1991, plaquée sur les images ultra-sombres du film, occupe tout l'espace et monopolise l'attention du spectateur.

Batman n'est pas le seul super-héros à évoluer sur une bande son vintage. La bande annonce de Venom: Let there be carnage est rythmée par One, tube de Harry Nilsson en 1968. PourWonder Woman 1984, on a convoqué Blue Monday, de New Order, ce qui colle tout à fait à l'époque du film.

"Traileriser" une chanson

Le phénomène des reprises de morceaux de pop musique, à toutes les sauces dans les bandes-annonces, ne touche pas que les super-héros et a envahi les blockbusters, comme Dune, dont les images sont enveloppées par l'Eclipse, de Pink Floyd, ou Spencer, vrai-faux biopic de Diana habillé d'une reprise de Perfect Day, de Lou Reed.

Il a même gagné les séries, comme You, dont l'inquiétante troisième saison a été annoncée au son d'un Baby One More Time lascif, ou la série italienne Baby, à la bande-annonce de deuxième saison sur fond d'un Girls Just Wanna Have Fun éthéré.

Il existe même un terme pour décrire l'opération, comme l’évoquait le Guardian en mai dernier. Entièrement réorchestrer un morceau, en ne conservant que les paroles, pour en faire du matériau à bande-annonce s’appelle donc 'traileriser' une chanson. L'ampleur du phénomène est telle que les majors comme Sony ont des équipes dédiées à ces réorchestrations, comme l'évoquait Variety en août dernier.

"La clé, c'est souvent les paroles"

Il existe aussi des entreprises spécialisées dans ce travail. C’est ce que fait Go West, la société que Nicolas Neidhardt a fondée aux Etats-Unis il y a une dizaine d'années, et dont l'activité consiste à explorer les catalogues des maisons de disques, à la recherche de chansons exploitables dans des bandes-annonces.

"La clé, c’est souvent les paroles", nous explique le musicien et producteur, qui a notamment travaillé sur la bande-annonce de Blade runner 2049. "On cherche souvent l’accroche qui va faire que la chanson fonctionne avec telle ou telle bande-annonce".

C’est ainsi que la chanson Starman, de David Bowie, a été utilisée dans la toute récente bande-annonce de Buzz l’Eclair, le film d’animation contant les aventures du "vrai" ranger de l’espace de Toy Story.

La réorchestration de ces chansons ajoute souvent un effet dramatique à des bandes-annonces aux images très travaillées.

"La bande-annonce est rythmée par la pulsation de la musique”, souligne Nicolas Neidhardt.

"Un trailer à l’américaine est construit sur un format très précis de 2'30 en trois actes", explique-t-il. "Il y a toute une dramaturgie qui monte et qui culmine à la fin dans une sorte d’apothéose, de cliffhanger pour qu’on ait vraiment envie d’aller voir le film".

Autorisation des ayants droit

La musique est composée pour la bande-annonce et les images montées à partir de la musique. Or, ajoute le spécialiste, hormis quelques thèmes de franchises comme Star Wars ou Jurassic Park, peu de musiques de films sont assez dynamiques pour coller à une telle dramaturgie. Mais le choix de la chanson dépend bien sûr également "du prix de la chanson et des autorisations des artistes ou des ayants droit". Certains artistes sont farouchement opposés à cette pratique, mais d'autres y voient une source de revenus non négligeable.

Si les paroles doivent coller à ces bandes-annonces ultra-calibrées, le choix du millésime de la chanson ne doit rien au hasard non plus.

"C’est un choix que font les studios ou les producteurs du film ou de la série, en fonction de la cible qu’ils veulent toucher", indique ainsi Nicolas Neidhardt. L’idée par exemple de réorchestrer une chanson des années 80 permet de toucher des auditeurs qui aimaient cette chanson dans les années 80".

"Une forme de nostalgie"

Voilà comment David Bowie, Pink Floyd, ou New Order se retrouvent associés aux plus gros blockbusters du moment. Cela fonctionne avec toutes les époques. Tous ceux qui ont été ado dans les années 1990, lorsque Nirvana passait en boucle à la radio et sur MTV, ont ainsi eu un petit coup au cœur en entendant les notes de Something In The Way dans la bande-annonce de Batman.

"Ce choix de mobiliser des morceaux du passé dans des bandes annonces contemporaines correspond à un écosystème très stratégique de stimulation", analyse Stéphanie Marty, maître de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l'université Paul Valéry de Montpellier.

"Il y a d’abord une stimulation de la génération contemporaine à ces morceaux, chez qui cela va réactiver une forme de nostalgie."

Chœur de jeunes filles et paroles dépressives

Cette mode des reprises de chansons pop ou rock dans les bandes-annonces, c'est à Mark Woolen, le pape de la bande-annonce à Hollywood qu'on la doit. Celui qui a créé les trailers de La Liste de Schindler et Moonlight a l'idée en 2010, pour illustrer la bande annonce de The Social Network, de David Fincher, d'utiliser le morceau ultra célèbre de Radiohead, Creep. Pas la version de Thom Yorke et son groupe, mais celle du Scala & Kolacny Brothers Choir, un chœur de jeunes filles belges. Le contraste entre les paroles dépressives de la chanson et la création de Facebook est saisissant. La bande annonce cartonne.

En plus de lancer la carrière du chœur - qui se retrouve propulsé sur la scène de Coachella dès 2011, comme le raconte Mark Woolen au New Yorker, la bande-annonce de The Social Network, a profondément influencé le son des bandes-annonces.

Faire chanter un titre connu par une autre personne participe ainsi de ce décalage gagnant, comme l'explique Nicolas Neidhardt. Le producteur remplace ainsi souvent une voix d'homme par une voix de femme, ou inversement, pour créer un contraste qui retient l'attention.

Pour le New Yorker, ce grand recyclage musical est assez symptomatique de l'industrie hollywoodienne, très occupée à produire des reboot d'anciennes franchises... promues par des reprises d'anciens tubes. Will Quiney, superviseur musical interrogé par le Guardian en mai 2021 sur le sujet, y voit, lui aussi, une volonté des studios de ne pas prendre de risques.

"La raison pour laquelle on utilise tant de grandes chansons qui nous sont familières, c'est parce que les dirigeants de studios ne veulent pas prendre de risques avec des musiques qui pourraient déranger les gens ou sonneraient trop étrange ou trop nouveau".

Bricolage et détournements

Pour Stéphanie Marty, pourtant, ces musiques sont une source d’une véritable créativité chez les jeunes internautes friands de vintage. Sans pour autant dénier à ces bandes-annonces leur aspect marketing et la recherche de la viralité.

"Le fait de mobiliser des morceaux du passé déclenche, chez la jeune génération, un goût pour le vintage et le rétro, et stimule son appétence pour le 'bricolage', les détournements, l'appropriation de contenus culturels, notamment sur TikTok."

A travers des reprises, des playbacks, des duos, des battles, des quiz, les jeunes internautes contribuent à la viralité des bandes-annonces.

Ces bandes-annonces entretiennent chez le jeune public un goût du vintage très prononcé qui se manifeste aussi dans l'intérêt pour les vêtements ou les objets des décennies précédentes. Mais elles contribuent aussi "à la résurgence de ces musiques, leur permanence et à l’extension de leur existence à travers les générations".

En France, le phénomène des reprises de tubes vintage dans les bandes annonces est encore très rare. Seule une version réorchestrée de Voyage Voyage, le tube de Desireless dans les années 1980 a récemment ponctué la bande annonce de De son Vivant, d'Emmanuelle Bercot. "En France, on n'a pas la culture de la bande-annonce", souligne Nicolas Neidhardt, qui rêve de développer le concept dans l'Hexagone.

Magali Rangin
https://twitter.com/Radegonde Magali Rangin Cheffe de service culture et people BFMTV